Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 151.djvu/806

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et complète ainsi la bête d’acier. Jamais, avant le duel, le propriétaire ne souffrira que l’ombre d’une main étrangère s’étende sur son coq, car, si l’on sait l’art d’instruire les gladiateurs emplumés, on n’ignore point les secrets qui les paralysent ou les charment. Un rien peut compromettre le travail de six mois, fausser l’ingénieuse et vivante machine de guerre. Tel coup de pouce l’énervé, telle caresse le fait tomber en langueur. Il faut qu’il arrive intact sur la plate-forme de la gallera. Là, son maître le prend dans ses mains et le présente à un autre coq ; et, quand les deux rivaux impatiens se provoquent du bec et gonflent leurs plumes, on les lâche. Ils se regardent, s’épient, la crête enflée, le cou hérissé comme d’une collerette de fer, les ailes raides, soulevés sur le ressort de leurs ergots ; puis ils se précipitent, s’escaladent, tourbillonnent. Le duel dure un éclair. Souvent le vaincu meurt sans qu’on ait vu le coup qui l’a frappé. Parfois tous deux sont atteints : son adversaire le fût-il mortellement, celui qui fuit a perdu, et il est plumé vif. Blessé ou non, le vaincu est tué. Il ne resterait plus qu’à le mettre au pot ou à la broche, si le maître, désireux de lui épargner cette suprême injure, ne l’enterrait dans son jardin. Sta, viator : heroem calcas. Avant le combat, les paris s’engagent ; les piles de pesos s’alignent devant les duellistes : la lutte finie, au milieu des acclamations et des huées, on règle les comptes. J’avoue, peut-être à ma honte, que j’éprouvais un certain plaisir aux jeux de cette arène, qui, pour être tachée de quelques gouttes de sang, ne m’en paraissait pas moins innocente. Je suis persuadé que les coqs aiment mieux mourir de leur bec ou de leur éperon que de la main d’une cuisinière. Ils y vont d’un si bon cœur ! Et pour qui les considère sans préoccupation de lucre, quelle parodie ou quel raccourci de nos acharnemens et de nos haines ! N’avons-nous pas conçu des dieux qui traitaient les peuples comme des coqs et pariaient, entre deux coupes d’ambroisie, sur leur sauvage manie d’égorgemens inutiles ? Disons à l’honneur de l’espèce humaine que, parmi les coqs qui défilèrent sous nos yeux, quelques-uns témoignèrent d’une admirable sagesse. Ils se toisèrent et se tournèrent Le dos. Nous les vîmes se promener avec cette gravité qui relève dédaigneusement la patte, comme pour éviter les éclaboussures des insultes inintelligentes.

Je me préparais à sortir, quand les cris redoublèrent à l’apparition de deux nouveaux combattans, l’un maigre et noir, l’autre rutilant, empanaché de pourpre, des frissons d’or sur les ailes