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UNE SEMAINE AUX PHILIPPINES


Samedi 20 novembre 1897,
à bord de la Esmeralda.

Vers dix heures du matin, par une mer bleue, nous avons aperçu l’archipel montagneux et désert des Philippines, et bientôt nous sommes entrés dans la baie de Manille. L’île du Corregidor coupe le détroit en deux entrées inégales. Un dicton du pays veut que les fous prennent la grande, les matins la petite. C’est la petite que nous avons prise ; et la baie déroule sous nos yeux son cercle régulier de plaines verdoyantes où s’élèvent des monts solitaires. Elle est immense, mais mollement défendue contre la mousson qui souffle de mai en septembre. À gauche, on me montre les terres incultes, recouvertes de bois, qu’habitent encore les Negritos, ces premiers possesseurs des îles. Les Espagnols ne les ont point soumis. Comme les Aïnos du Japon, ils s’éteignent et s’évanouiront un jour, emportant avec eux le secret de leur origine et la légende de leur vie. D’ailleurs, que nous diraient-ils, sinon qu’ils ont massacré et qu’on les a massacrés à leur tour ? C’est l’épitaphe d’un grand nombre de peuples. À onze heures, le capitaine fait carillonner le lunch. « Comment, capitaine, le lunch, déjà ? — Parfaitement. Dans une heure, nous jetons l’ancre et, si la douane nous surprend à table, savez-vous ce qu’elle fait ? Elle s’y installe. Vous ne connaissez ni les douaniers, ni les carabiniers, ni les médecins des ports espagnols. Ces gaillards-là sont toujours affamés. Il suffit qu’une nappe soit mise pour qu’ils y plantent leurs coudes et montrent les dents. » Une heure après, la table desservie, nous stoppions à un mille de Manille.

La voilà donc, cette ville dont m’ont tant parlé les proscrits de Hong-Kong, cette ville qui, le 30 août 1896, faillit être prise par