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au mois de mars ; pour sauver les apparences et ne pas donner à cette union le caractère d’une transaction politique, on avait jugé convenable de ne pas procéder simultanément à la signature du contrat et à celle du traité.

Quand la Gazette de Vienne, en réponse au discours de Victor-Emmanuel, annonça l’envoi de nouveaux renforts en Italie, la cour de Turin se sentit aux abois ; elle voulut conclure civilement, religieusement et politiquement. Le 13 janvier au soir, le prince Napoléon quittait Paris avec le général Niel. Le général était chargé de solliciter du roi Victor-Emmanuel, au nom de l’Empereur, la main de la princesse Clotilde. Il avait, de plus, mission de se concerter avec le général La Marmora sur le plan de campagne et les moyens de défense les plus urgens. Le prince Napoléon avait confié son secret à quelques-uns de ses familiers, mais aucun d’eux ne s’attendait à une conclusion aussi précipitée. — « Nous voici engagés jusqu’au cou dans l’aventure italienne, » écrivait M. Darimon, en apprenant le départ subit du prince. — « Nous aurons certainement la guerre. » disait M. Cler, bien placé pour connaître le dessous des cartes[1].

Parmi les réfugiés polonais, hongrois et italiens qui assiégeaient le Palais-Royal, la joie fut extrême. L’un d’entre eux, le plus remuant, Szarvady, tout à la fois émissaire et coulissier, écrivit à Kossuth : « L’Empereur désire la guerre, mais il ne veut pas que le Piémont la déclare avant que l’Autriche soit parfaitement isolée. On craint aux Tuileries que la Russie ne fausse compagnie. Le prince Albert et le roi des Belges font de l’agitation contre la guerre, ils poussent le régent de Prusse à formuler nettement sa pensée dans son discours aux Chambres. » — Toutes ces miettes de la politique, ramassées dans les antichambres, servaient de thème à des élucubrations compromettantes, que Szarvady expédiait chaque soir, dans toutes les directions, d’une officine de scribes étrangers, établie à proximité de la gare du Nord[2]. Ce monde cosmopolite qui s’immisçait dans nos affaires n’était pas composé seulement d’aventuriers. Le général Klapka, le colonel de Kiss, le comte Teleki, le général Turr et beaucoup d’autres

  1. Il était l’écuyer du prince.
  2. Kossuth, dans ses Souvenirs d’exil, dit que Szarvady le tenait au courant de toutes les fluctuations de notre politique, qu’il était en relations étroites avec dix-sept journaux de tous pays, qu’il parlait à cinquante feuilles par jour au moyen de ses lettres autographiées.