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V. — L’EMPEREUR ET LE COMTE WALEWSKI

Pendant plusieurs mois, Napoléon III s’était complu à dissimuler son secret à ses ministres. Il avait envoyé le prince Napoléon à Turin et à Varsovie ; il avait conféré avec M. Nigra et donné des missions secrètes à M. Piétri et au docteur Conneau, sans que rien dans son attitude eût trahi à ses entours les arrangemens pris à Plombières. On était à la fin de novembre, et M. de Cavour s’impatientait ; redoutant un recul, il pressait l’Empereur de procéder à la signature des conventions négociées par son cousin. Dès lors, l’intervention du comte Walewski s’imposait ; des engagemens internationaux synallagmatiques n’ont de valeur que revêtus du contreseing du ministre des Affaires étrangères. Il importait de l’initier à la politique poursuivie secrètement et qu’il allait être appelé à interpréter au grand jour.

Le comte Walewski n’avait pas vu sans appréhension l’entrevue de Plombières. Il fut consterné en apprenant que tout un plan avait été arrêté et que nous étions irrémédiablement liés au Piémont. Il ne se consolait pas de voir notre politique, jusque-là si sage, si prudente, compromise, sans urgence et sans motif avouable, dans une redoutable aventure associée aux revendications révolutionnaires du cabinet de Turin. Avec le franc parler qu’autorisaient ses origines, — il était le fils de Napoléon Ier, — il se permit d’énergiques représentations. Il fit observer à l’Empereur qu’une guerre contre l’Autriche, succédant de si près à celle d’Orient, le mettrait en contradiction avec son discours de Bordeaux ; qu’elle compromettrait la grande situation que lui valaient en Europe la sagesse et la modération dont il avait fait preuve au Congrès de Paris ; que l’affranchissement de L’Italie au profit du Piémont ne répondait pas à l’intérêt français ; et qu’en cas d’insuccès, nous nous exposerions à un soulèvement de l’Allemagne, et peut-être même à une coalition européenne. C’était le langage de la raison.

Rentré dans son cabinet, sous l’impression angoissante des révélations qu’on venait de lui faire, il écrivit à L’Empereur. Dans l’espoir de Le soustraire à la fascination de M. de Cavour, il eut recours aux argumens les plus pathétiques. « Je voudrais, disait-il, en ce moment, trouver à l’appui de mes convictions des paroles éloquentes, persuasives ; à leur défaut, je compte sur la force de la