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d’argent et d’or. L’étang se balançait mollement au jeu cadencé des avirons qu’accompagnait une musique voilée. Pas un nuage n’altérait la limpidité du ciel. Les forêts du rivage, immobiles, semblaient écouter et contempler les chants et le spectacle qui leur parvenaient des eaux. Immense et rouge, l’astre du jour descendit lentement derrière la cime des bois. Le radeau approchait des rives. Au milieu des bosquets fleuris, faunes et satyres s’exerçaient à imiter les modulations des rossignols, sur leurs flûtes agrestes ; nymphes, dryades s’ébattaient folâtres et lascives. Enfin le crépuscule tomba, salué par des chœurs que déjà troublait l’ivresse, et des hymnes chantés en l’honneur de Séléné. Alors mille clartés jaillirent du sein des bois. Des lupanars et des temples essaimes le long du rivage ruisselaient de blanches nappes de lumière.


Mais je m’arrête pour ne plus m’occuper que de deux scènes, où se résument à la fois, la genèse, la raison d’être, et la tendance de l’œuvre.


Aux premières lueurs du jour, deux ombres s’avançaient le long de la Voie Appienne, dans la direction des plaines de Campanie. L’apôtre Pierre, suivi du jeune Nazarias, son disciple, fuyait la ville, abandonnant son troupeau. Du côté de l’Orient, le ciel se colorait d’une teinte exquise de vert tendre, bientôt nuancée de reflets d’opale et d’or. Les arbres au feuillage argenté, les blancheurs marmoréennes des villas, les aqueducs dont les arches semblaient s’élancer et courir vers Rome, émergeaient peu à peu de l’ombre. Enfin l’aube apparut toute rose. Les contours des montagnes d’Apulée se dessinèrent vaporeux et fins, d’une blancheur de lis, baignés de clarté. L’aurore se mirait au travers des gouttes de rosée suspendues aux branches. Les dernières nuées se fondirent, découvrant au loin la plaine avec ses maisons endormies, ses cimetières plongés en une paix silencieuse et profonde, ses jardins et ses bois, où entre la verdure se détachaient les blanches colonnes du temple.

La voie était déserte. Sur ses larges dalles de pierre, au milieu du silence matinal, le pas des deux voyageurs, chaussés de sandales de bois, réveillaient de sonores échos. Enfin, le soleil se montra entre les arêtes des monts, mais alors un singulier spectacle frappa les regards de l’apôtre. Il lui sembla que l’astre du jour, au lieu de s’élever sur le ciel, avait glissé le long des pentes et planait maintenant au niveau de la voie.

Pierre s’arrêta stupéfait.

— Vois-tu cette clarté qui se dirige vers nous ? demanda-t-il.

Mais Nazaire répondit surpris :

— Non, maître, je ne distingue rien.