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passées à son chevet plus promptes à s’écouler et plus douces. Quand les mâles traits du tribun rayonnaient de joie à son approche, une allégresse ineffable inondait son âme. Un matin, elle aperçut des traces de larmes sur ses joues amaigries, et elle pensa qu’elle pourrait pourtant les sécher avec ses baisers. Effrayée de sa hardiesse, honteuse d’elle-même, elle se désolait à l’idée que, s’il venait à mourir, ils seraient séparés pour l’éternité, et cette crainte de perdition, suspendue au-dessus de ce front chéri, redoublait encore son amour et sa pitié. Enfin, elle osa lui dire qu’en dehors du Christ, il n’y avait ni vie, ni vérité : et lui, inclinant sa tête, qu’il laissa quelques instans reposer sur ses genoux : « C’est toi qui es la vie, » murmura-t-il. Un nuage obscurcit ses yeux : éperdue, tandis qu’elle cherchait à le relever, ses lèvres par hasard effleurèrent le front du jeune homme. Ils demeurèrent ainsi, plongés tous deux en une extase divine, seuls avec leur amour. Mais le lendemain, la chrétienne triomphait.


L’apôtre Pierre, auquel elle a confessé sa passion naissante, lui trouve un autre refuge… Vinicius, rentré dans sa somptueuse demeure, voit désormais que le vieux monde s’écroule. Il a beau se débattre encore : le Galiléen a vaincu. Ce maître si doux, dont Lygie lui répétait les divines paroles : « Je suis la vérité et la vie, » le fascine et l’attire comme un aimant. L’amour et la foi se confondaient ainsi en son âme. Et lui, soldat de César, lui, fils de consuls, il ira à son tour se jeter aux pieds de l’humble pêcheur juif.


« Éclairez-moi, s’écrie-t-il, je crois au Christ et à sa résurrection, j’ai vu que de son enseignement s’épanouissait une moisson bénie de vérité, de justice, de charité. Je sens que tout a changé en moi-même. Jadis, j’appesantissais un bras de fer sur mes esclaves ; — je n’ose plus les châtier aujourd’hui. J’ignorais ce que pouvait être la pitié ; — mon cœur en déborde maintenant. Je recherchais la volupté ; — et voici que je m’en détourne avec dégoût. Je ne croyais qu’à la force et à la violence ; — et c’est la mansuétude seule qui m’attire. J’ai pris en horreur nos festins et leur ivresse, les danseuses, les joueurs de luth. J’ai horreur de César, horreur de sa cour, de toutes ces nudités, de toutes ces abjections, de toutes ces hontes. »


En bon pasteur, l’apôtre bénira ces deux brebis. Agenouillés devant lui, Vinicius et Lygie entendront ces paroles qui les fiancent l’un à l’autre pour l’éternité :


« Aimez-vous dans le Seigneur ; aimez-vous pour sa plus grande gloire : car, je le dis en vérité, il n’y aura pas de péché en votre amour. »