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cause de sa force prodigieuse, Hister, insensible aux charmes de la jeune fille, la jeta aux pieds de sa sœur Pomponia Græcina, l’épouse vénérée d’Aulus Plautus. Tous deux ils élevèrent la petite captive et la chérirent à l’égal de leur fils unique.

Telle est l’histoire, que Vinicius, remis de sa foulure, mais atteint par les traits de l’Amour, conte un matin à son oncle, le beau, le raffiné Petronius, l’esthète, le sybarite sceptique et lettré, l’arbitre des élégances suprêmes, en un mot : Arbiter elegantiarum. Par les blancs genoux des Grâces ! il adore cette Lygie, il la désire, il s’est juré de la posséder… et ce que le tribun Vinicius s’est juré peut et doit s’accomplir. Mais comment, par quels moyens ? Lygie n’est pas une esclave, et le fût-elle d’ailleurs, jamais ni Plautus, ni Pomponia ne consentiraient à la lui livrer ? L’admettrait-il à titre d’épouse à son foyer, lui, le descendant d’une race de consuls ? Il hésite, il souffre, il s’exaspère, dans le déchirement que lui cause la lutte de son cœur et de son orgueil. Mais à quoi servirait l’expérience consommée d’un Pétrone ? Lygie, en sa qualité d’otage, appartient à l’État romain ; or l’État romain n’est-ce pas César ? C’est donc sous la protection exclusive de l’empereur, que doit demeurer la jeune captive. Néron la fera réclamer en vertu de ses droits. Une fois introduite au palais sacré, lui, Pétrone, se flatte d’obtenir de César qu’il en dispose ainsi que d’une gemme, ou d’un vase de prix, en faveur de Vinicius. Le plan, si bien conçu, s’exécute à la lettre. Lygie, arrachée aux bras des Aulus, se voit transportée au palais. Là, à un de ces festins, auxquels le maître du monde aime à convier sa cour, elle se retrouve aux côtés de Vinicius. Enivrée par les parfums qui brûlent au fond des cassolettes d’or, par l’arôme des roses, par la fumée des vins inconnus ; bercée par le murmure des fontaines odorantes, par les chants et les danses des esclaves indiennes, par la voix de César qui déclame s’accompagnant sur sa lyre ; mais surtout, par les paroles enflammées de Vinicius, elle se trouble et s’égare. Le jeune homme l’attire à lui, ses lèvres de feu se posent sur les siennes, elle est perdue. Mais, ô prodige ! celui qui la retient palpitante, ainsi qu’un épervier entre ses serres, soudain se sent lui-même devenir le jouet d’une force surhumaine. On l’écarté : il n’est plus qu’une feuille, saisie et roulée au souffle impétueux de l’ouragan. Le fidèle serviteur de Lygie, l’Ursus colossal et terrible a su parvenir jusqu’à la fille de ses rois et la sauver du déshonneur. C’est la providence, la force aveugle qui écrase et qui brise. Son