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transports d’admiration. Le nom de Lygie y est devenu populaire. Il y suffit aux lutteurs et aux athlètes de se présenter sous le patronage d’Ursus au public, pour aussitôt capter ses faveurs. C’est aujourd’hui le public français que je voudrais initier aux pages les plus émouvantes de ce livre… Quo Vadis ? c’est-à-dire, où va l’ancien monde, où allait-il au temps de Néron ? vers quel abîme se précipitait la société païenne ? ou quelle ruine ? Mais aussi quelle splendide aurore se levait sur la terre ! et, du fond même de la corruption et du désespoir, quelle vie nouvelle surgissait pour une humanité régénérée !


I

Marcus Vinicius revient d’Asie, où (il a combattu les Parthes sous les ordres de Corbulon. Ce jeune tribun, qu’avaient épargné les flèches ennemies, subit un vulgaire accident aux portes mêmes de la ville : une épaule démise… et voilà tout un poème et tout un drame d’amour. Aulus Plautus, ancien proconsul de Germanie, ancien préfet impérial en Bretagne, retiré maintenant dans sa paisible villa du Vicus Patricius, vient à passer sur la voie. Vinicius ne lui est pas inconnu, il l’invite donc à chercher un abri sous son toit. Là, dans cette demeure amie, où règne une singulière atmosphère de calme et de sérénité, un matin, au lever du jour, sur les marches du bassin de marbre, où retombent les eaux jaillissantes des fontaines, parmi les rosiers et les myrtes en fleurs, l’hôte d’Aulus aperçoit une jeune fille, — vivante image de cette aube et de ce printemps. Dès lors, l’amour impérieux et jaloux possède son âme. Une seule fois, il lui a été donné d’approcher cette nymphe, et elle, tout en écoutant les tendres paroles qu’il lui murmure à la hâte, avec la tige flexible d’un roseau, trace, en guise de réponse, les contours d’un poisson, sur le sable fin de l’allée. Quel est ce symbole, ce mystère ou cet aveu ? Car, dans ces yeux limpides et charmans fixés sur les siens, Vinicius a cru deviner la douceur d’aimer. Elle a fui, blanche et légère fille des Grâces : il ne l’a plus revue. Il sait seulement qu’on l’appelle Lygie ou Callina ; qu’elle est l’héritière d’un roi barbare de la nation des Lyges ; que, tout enfant, elle fut jadis livrée en otage au peuple romain. Hister, chef des légions danubiennes, — dont elle a suivi le char triomphal, escortée de ses serviteurs, que dominait tous la taille athlétique d’un Hercule slave ou sarmate, surnommé Ursus, à