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UN OFFICIER DES GUERRES DE L’EMPIRE

réchal jusqu’au caporal, on n’en sait rien ; mais le bruit est à la guerre. »

Ce bruit se trouve confirmé le jour suivant. Une nouvelle coalition s’était formée contre Napoléon : il s’agissait maintenant d’écraser la Prusse, comme on avait fait de l’Autriche. « Je viens d’assister à une bataille terrible, écrivait Reiset le soir d’Iéna (14 octobre 1806). Nous avons pris trois cents canons et soixante drapeaux : il y a quarante mille prisonniers et vingt mille hommes ont été tués ou blessés… Toute la campagne entre Iéna et Weimar est entièrement couverte de blessés et de morts. Les obus des Prussiens ont mis le feu à la ville d’Iéna, et la ville de Weimar ne sera bientôt plus qu’un monceau de cendres. »

Le 29 octobre, Reiset se dirigeait avec l’armée de Murat vers Prentzlau, sur la route de Berlin, lorsqu’on apprit que la ville était occupée par vingt mille Prussiens. Pendant que Murat, avec le gros de l’armée, s’occupait de prendre la ville, l’escadron de Reiset, qui s’était porté sur la gauche pour poursuivre quelques corps de troupes, rencontra à la hauteur de Schœnoerden un bataillon d’infanterie prussienne qui, à son approche, se forme en carré. « Nous nous portâmes sur lui, mais nous fûmes repoussés avec perte. Trois fois nous chargeâmes avec impétuosité, mais trois fois nous dûmes reculer. Nous ne perdions pourtant qu’une quinzaine de chevaux et une dizaine d’hommes : trois officiers seulement avaient été blessés. Ces différens assauts n’ayant pas réussi, je résolus de ne plus chercher à entourer l’ennemi : nous l’acculâmes à un marais d’où il ne put se retirer. Hommes et chevaux s’embourbaient, s’enfonçaient dans une vase noire et épaisse, et tous leurs efforts pour en sortir ne faisaient que les enlizer davantage. Le désordre fut bientôt dans les rangs. Je fus alors avec un trompette leur crier de se rendre, et ils mirent bas les armes. Ma joie fut grande en voyant quel était leur chef et de quelle importance était ma prise : j’avais fait prisonnier le prince Auguste de Prusse lui-même, et les cinq cents fantassins avec lesquels il se retirait.

« Le prince montait une bète magnifique, que je lui laissai, ce qui me valut de sa part les remerciemens les plus vifs. Il tenait, me dit-il, tout particulièrement à ce cheval, qui avait appartenu à son frère le prince Louis, et qu’il montait lorsqu’il fut tué au combat de Saafeld, le 10 octobre, par un maréchal des logis du 9e hussards. Quant à mon prisonnier, il a vingt-sept ans, c’est un