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UN OFFICIER DES GUERRES DE L’EMPIRE

coups de fusil, et escorté par ces horribles figures de Cosaques dont les lances me menaçaient. J’entendis par les fenêtres des habitans qui me disaient : « N’avancez pas, ils sont encore nombreux ; ne vous fiez pas à eux ou vous êtes perdu ! » J’avais un devoir à remplir, je continuai ma route. Au détour de la dernière rue, un énorme Russe me déchargea sur la cuisse un violent coup de crosse, après m’avoir ajusté et manqué à dix pas. Enfin j’arrivai à la place. L’officier d’état-major vint à ma rencontre en entendant la trompette, et l’on me banda les yeux jusqu’au quartier général. Là je déclarai qu’on eût à évacuer la ville sur-le-champ, et je tirai ma montre en donnant une demi-heure, sans quoi tout ce qui serait dans la ville, hommes, chevaux ou équipages, serait en notre pouvoir. Je ne vis pas, mais j’entendis un grand mouvement de voitures d’artillerie vers la porte de Winterthur. On voulut avoir une heure, mais je persistai. Dans cet intervalle, nos troupes s’étaient mises en marche, et elles entraient dans les faubourgs lorsque je me suis remis en route. Mon retour ne s’effectua pas sans risques plus graves encore, car je rencontrai dans toutes les rues nombre de traînards armés. Nous passâmes la nuit dans la ville, et le lendemain nous nous mîmes en marche sur la route de Winterthur.

« J’avais eu dans la matinée un cheval blessé, qui succomba le lendemain. Je l’ai remplacé par un cheval russe magnifique, qui vient de m’être volé ainsi qu’une fort belle voiture anglaise que j’avais fait relever d’un fossé, et dans laquelle mon ordonnance a trouvé, dit-on, 1 800 louis cachés dans des doubles fonds, avec lesquels il a disparu. »

Nous retrouvons Reiset l’année suivante en Allemagne, à l’armée de Moreau, qui, après l’avoir attaché à son état-major, le place en qualité d’aide de camp auprès du général Richepanse. « Hier, mon cher ami, écrit-il à son frère, le 21 juin, du camp d’Ittereichem, la droite de notre armée a battu complètement l’ennemi. Nous sommes maîtres de Güntzbourg et de trois ponts sur le Danube. On a fait trois mille prisonniers, pris vingt pièces de canon et quatre drapeaux. Pour te rendre cette journée encore plus agréable, je t’annonce qu’il m’est arrivé à l’instant une commission de capitaine… Écris-moi, et parle-moi dans tes lettres de Mme Richepanse : son mari me demande toujours si l’on en parle. Il voudrait voir arriver d’elle une lettre par heure. On n’est pas plus amoureux de sa femme. »