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UN OFFICIER DES GUERRES DE L’EMPIRE

s’assurer que la jeune fille lui gardait sa foi. Elle la lui gardait en effet, et, sans vouloir considérer l’origine modeste du jeune général, elle opposait aux argumens de son père, peu soucieux de cette alliance, la gloire et la vaillance qui entouraient déjà le nom du héros : Kléber fut si touché de ce témoignage d’affection, qu’il eut un instant l’idée de lui sacrifier définitivement ses rêves de gloire militaire. Il se remit à ses études d’architecture, dressa des devis, traça pour M. de Reiset, alors receveur général des finances à Colmar, des plans de maisons de campagne. Mais il n’en encourageait pas moins son jeune ami à persévérer dans la profession dont il se prétendait lui-même à jamais dégoûté. Et, quand il quitta Colmar pour aller à Paris, quelques mois après, Reiset avait obtenu déjà de reprendre du service au 17e dragons.

Il ne voulut point, cependant, rejoindre son corps sans être allé passer quelques jours à Paris auprès de son ancien général. « Je trouvai Kléber, écrit-il, installé dans ce qu’il appelait son ermitage, pavillon isolé situé sur les hauteurs de Chaillot, d’où l’on embrasse toute la vue du Champ de Mars. Il vit là très retiré, traité presque en suspect par le gouvernement, auquel il n’a pas craint de témoigner son peu de sympathie. Il s’occupe d’études militaires, voyant seulement ses anciens compagnons d’armes. Jourdan, avec lequel il s’est réconcilié, est, avec Moreau, un de ses hôtes les plus assidus. »

« Pendant mon séjour à Paris, ajoute Reiset, j’eus occasion maintes fois de constater, en fréquentant divers officiers, combien les formes extérieures adoptées dans l’armée du Rhin et dans celle d’Italie sont différentes. L’armée d’Italie se glorifie d’être une armée révolutionnaire, composée de citoyens et non une armée de messieurs, comme ils nous appellent dédaigneusement. »

Il revint encore à Paris en janvier 1798, pour faire ses adieux à Kléber qui allait en Égypte, et qu’il ne devait plus revoir. C’est durant ce séjour qu’il lui fut donné pour la première fois d’approcher le général Bonaparte : « Je pus me rendre compte aussitôt, dit-il, de l’enthousiasme qu’il excitait. Il affectait pourtant une grande simplicité, et cherchait le plus possible, par coquetterie peut-être, à se soustraire aux ovations dont il était l’objet chaque fois qu’il se montrait en public. »