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du jour ne pénétrait jamais, entourée de douze salles triangulaires ouvertes à l’extérieur.

À Angkor-Wat, le fidèle était amené par étapes successives jusqu’au réduit où s’abritait l’image d’une divinité que rien ne faisait pressentir. Au Bayon, le dieu est proclamé de loin, aux yeux de tous, deux cents fois profilé sur l’espace bleu, et l’on sent dans cette naïve emphase le souffle d’une foi plus simple, moins encombrée de rites, et, par conséquent, plus ancienne. Les détails d’ornementation indiquent également un art plus jeune, plus original dans ses manifestations, mais moins parfait dans ses procédés. Les Tevadas ne sont pas habillées ni coiffées à la même mode, leurs jupes ne sont pas transparentes ; la pierre est moins fouillée qu’à Angkor-Wat ; les bas-reliefs, d’une exécution moins soignée, sont plus mouvementés et peut-être plus saisissans.

Si le Bayon est la première expression de l’architecture khmère, spontanément éclose sur le sol de l’Indo-Chine, Angkor-Wat en est l’épanouissement suprême. Les monumens situés aux alentours d’Angkor-Thôm et, encore plus, ceux dont on retrouve les restes sur presque toute l’étendue de la péninsule, offrent déjà les caractères de la décadence. La brique, moins coûteuse, y remplace le grès et fait disparaître les proportions colossales qu’offraient les constructions de la bonne époque ; aux délicates sculptures ont succédé des applications de ciment ou de plâtre moulé qui ne rappellent que de très loin les belles compositions des grands artistes d’Angkor-Wat.

Il y a, parmi les effondremens du Bayon, des recoins sombres où l’on ne pénètre qu’avec l’effroi de se trouver tout d’un coup muré par la chute d’un bloc de pierres ; où des chauves-souris que personne ne vient jamais déranger se mettent à voleter autour de vous avec des bruits dévoiles secouées par la rafale ; où des choses glissent à vos pieds, rapidement disparues dans le noir : Lézards, caméléons, serpens ? On ne sait pas… En parcourant la plate-forme de la deuxième galerie, un couloir obscur, demeure libre au milieu des débris, m’avait conduit à une tour d’angle dont les décombre-avaient bouché les trois autres issues. Une crevasse, pratiquée dans la voûte du faîte, laissait filtrer un peu de clarté vague dans cette grotte où les pierres moisissaient, toutes vertes. Une statue, un Bouddha de grandeur naturelle, accroupi sous un naga aux sept têtes éployées en éventail, se dressait dans un angle. L’idole était encore un