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les lacs, la poussière tombe, et les essieux, en se mouillant, interrompent pendant un instant leur lamentable grincement.

Le jour décline, quand nous arrivons à Siem-Reap. Egrenées sur les deux bords d’une claire rivière assez encaissée, les maisons sont en bois, comme perchées sur des poteaux ; sous le plancher viennent s’abriter les animaux domestiques, buffles, cochons, poules et chiens efflanqués. Chaque habitation possède un petit jardin planté de cocotiers, de bananiers, de manguiers, d’arékiers, de borassus, et de graciles touffes de bambou. À travers les verdures sombres des arbres fruitiers, le soleil, près de son coucher, nous envoie ses derniers rayons, qui flamboient comme des coulées d’or fondu. Les oiseaux se hâtent de rentrer des lacs, traversant le ciel en longs vols triangulaires. Presque personne sur le seuil des portes, tout le monde est à prendre le bain du soir dans la rivière. Nous la traversons à gué, faisant Imite au fil de l’eau pour laisser les bœufs et les buffles se désaltérer, et, de l’autre côté, nous allons nous arrêter sur une sorte de place, au pied d’une grande case.

C’est la sala, la maison ouverte à tout venant, que chaque ville bouddhiste entretient pour héberger les étrangers de passage. Elle est, comme les autres, (‘levée sur pilotis, mais close seulement d’un clayonnage en lattes de bambou. L’intérieur est divisé en deux compartimens par une cloison qui forme une pièce réservée aux hôtes de distinction ; elle est meublée de trois chaises vermoulues et d’une table posée sur une natte.

À peine sommes-nous descendus de voiture que les bêtes sont dételées et emmenées par les conducteurs. Compeng-Keo et L’interprète s’esquivent ; le premier va sans doute faire son rapport, et l’autre a dû se précipiter dans un tripot pour jouer les quelques piastres que je lui ai données comme arrhes. Mais le temps passe et je ne vois pas revenir mes gens ; sachant que mon intention est de continuer ce soir jusqu’à la pagode d’Angkor-Wat, et préférant passer la nuit à Siem-Reap, ils se sont tout simplement cachés. Il faut employer les grands moyens : je fais déclarer que personne ne sera payé, si les charrettes ne sont pas prêtes dans une heure, et qu’il pourrait bien y avoir du rotin…

L’interprète, averti, rei il ni au galop, afin de conjurer l’orage. Il a les meilleures raisons pour que nous couchions à Siem-Reap : les routes sont mauvaises, les bêtes sont fatiguées, la lune se lève tard, nous nous égarerons, et, enfin, il y a des tigres. Ensuite