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similaires, l’Empereur se conformait aux traditions de notre politique. Il eût trahi les intérêts de son pays, si, en créant au delà des Alpes un grand royaume, il ne s’était pas préoccupé de la sécurité de nos frontières. Encore ne s’est-il prémuni qu’incomplètement contre une agression éventuelle, en laissant au Piémont les passages des Alpes, transformés aujourd’hui en points d’attaque par un système de forts, et en ne portant pas notre ligne de défense, dans le comté de Nice, jusqu’à Vintimille[1]. M. de Cavour, il est vrai, a déclaré depuis lors qu’il ne s’y serait pas prêté. Mais que seraient devenues ses combinaisons s’il s’était trouvé en face d’une condition sine qua non ? Eût-il, pour l’amour de Vintimille, renoncé à l’affranchissement de l’Italie ?


V. — LE COMTE DE CAVOUR A BADEN

Arrivé à Plombières en zigzag par des chemins détournés, comme un conspirateur qui craint d’être reconnu, M. de Cavour en repartait, trente-six heures après, par la grande route, la tête haute, le visage épanoui. Tout à la joie, il emportait dans son portefeuille, suivant son expression, « du noir sur du blanc. » Au lieu de regagner directement et hâtivement la capitale du Piémont, il se dirigea sur Baden, le rendez-vous de l’Europe élégante et bruyante. Il se mêlait aux princes et aux diplomates, s’appliquant à faire leur conquête, à pressentir leurs tendances : s’il ne

  1. Le 20 mai 1860 on discutait au parlement de Turin le traité de cession de Nice et de la Savoie à la France. — » Vous n’avez pas sauvegardé la défense militaire de l’Italie », disait l’opposition au gouvernement. — « Je suis un ancien officier du génie doublé d’un diplomate, répondait M. de Cavour, vous pouvez vous en remettre à ma prudence et à mon habileté. J’ai eu soin de faire Insérer dans le traité un article qui laisse en notre pouvoir tous les passages des Alpes, sans exception. Les frontières, au lieu de passer sur les crêtes, courront à mi-côte sur le versant français. « — M. de Cavour était parvenu en effet, à avoir raison du général Niel, en prenant l’Empereur par le sentiment.il l’avait supplié de ne pas contrarier les plaisirs cynégétiques du Roi, qui avait l’habitude de chasser le sanglier de préférence sur notre versant. » Pourquoi nous marquer de la défiance, disait-il, ne sommes-nous pas indissolublement alliés ? Une guerre entre la France et l’Italie serait une guerre fratricide ! »br/> Mais quelle alliance est indissoluble ? Les circonstances ont changé depuis lors, et notre génie militaire a dû se prémunir contre une incursion italienne par les défilés des Alpes, il a corrigé les fautes qui ont présidé ç la délimitation de 1860 par des défenses inexpugnables. On doit lui savoir gré surtout de s’être opposé à la construction des routes que, dans un accès d’imprévoyance patriotique, on avait fait voter par le conseil général du Var, car elles eussent singulièrement favorisé une invasion, en mettant les forteresses du col de Tende en communication directe avec Nice.