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armée aux convenances d’un ministre audacieux. En échange de nos sacrifices et de son agrandissement, Victor-Emmanuel nous rembourserait les frais de la guerre, et, pour nous donner un gage contre les dangers éventuels d’un agrandissement aussi considérable, il nous fournirait des garanties militaires en cédant à la France Nice et la Savoie. Le mariage de la princesse Clotilde avec le prince Napoléon-Jérôme, subordonné au consentement du Roi et à la signature d’un traité offensif et défensif, devait être le gage d’une indissoluble alliance entre la France et le Piémont.

Telles étaient les bases du pacte débattu entre Napoléon III et le ministre piémontais, et qu’un acte secret, signé le 16 décembre 1858, suivi du traité ostensible du 18 janvier 1859, sanctionnèrent solennellement.

On verra, dans le cours de ce récit, combien ce document secret devait peser à M. de Cavour. Le baron de Talleyrand, le successeur du prince de la Tour d’Auvergne, n’aura qu’à l’invoquer pour avoir raison de tout mauvais vouloir. M. de Cavour en sera importuné à ce point qu’il nous priera instamment de n’en pas faire mention dans le traité de cession de Nice et de la Savoie. Il ira même jusqu’à réclamer l’incinération des deux instrumens échangés entre Victor-Emmanuel et Napoléon III, afin qu’il ne reste aucune trace des engagemens pris. C’est ainsi que l’Espagne, avant de se prêter à la signature de la paix des Pyrénées, réclama de Mazarin l’anéantissement d’une convention secrète qui, trois ans auparavant, avait fait litière du prince de Condé.

Mais il ne s’agissait pas, cela est évadent, d’une transaction territoriale, d’un marché, comme on l’a prétendu depuis lors en Italie, excluant toute reconnaissance pour les services rendus. Assurer au Piémont les plus belles provinces de la péninsule, élever sa population de trois à dix millions d’âmes, lui sacrifier cinquante mille hommes et 500 millions, et exposer les destinées de la France, en échange d’un petit agrandissement de territoire comportant quelques centaines de mille habitans, eût été un marché de dupes. Le traité, en réalité, n’avait en vue que l’affranchissement de l’Italie, l’agrandissement de la maison de Savoie, pour assurer à jamais l’exclusion de l’Autriche de la péninsule. Dans toutes les négociations intervenues entre Louis XIV et Victor-Amédée II, au sujet du Milanais, après la ligue d’Augsbourg et pendant la guerre d’Espagne, la France s’était toujours réservé le comté de Nice et la Savoie. En stipulant des garanties