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détourner du régicide et lui faire comprendre que celui qui avait conspiré dans les Romagnes en 1831 restait fidèle à ses engagerons. Il était dit que le crime du 14 janvier serait le point de départ mystérieux de la guerre d’Italie.

Le 1er avril, les papiers envoyés de Paris parurent en tête de la Gazette piémontaise. L’émotion fut profonde ; en raison de la date, on crut tout d’abord à une mystification. Le prince de la Tour d’Auvergne, qui, la veille encore, avait eu des explications aigres-douces avec Cavour au sujet du peu d’empressement qu’il mettait à sévir contre le Peuple italien, le journal de Mazzini, fut stupéfait en apprenant l’origine de ces surprenantes révélations.

Très circonspect, car il se sentait sur un terrain scabreux, il se borna à constater, dans sa correspondance, sans émettre aucune appréciation personnelle, que la publication des documens dans la gazette officielle de Turin « avait excité un très grand étonnement et donné lieu à de nombreux commentaires. »

Les Italiens ont l’entendement subtil : leur patriotisme affiné déchiffre rapidement les énigmes les plus compliquées. Ils ne s’y trompèrent pas ; ils virent dans les lugubres publications de la gazette officielle un signe d’intelligence, un mystérieux encouragement à leurs espérances, parti des Tuileries. Ils en conclurent que leur étoile, après de séculaires éclipses, allait reparaître, et que la fortune, si longtemps inclémente, les comblerait dorénavant de ses prodigalités.

Le cabinet britannique avait été, comme tous les gouvernemens en Europe, frappé de l’insertion en quelque sorte simultanée au Moniteur et dans la Gazette officielle piémontaise des papiers d’Orsini ; il n’avait pas échappé à la vigilance de sa diplomatie qu’un rapprochement marqué s’opérait entre Paris et Turin. Le prince Albert, toujours à l’affût de ce qui se passait aux Tuileries, se plaisait à prêter à Napoléon III les plus noirs desseins. « Je crains, écrivait-il le 20 avril au baron de Stockmar, que l’Empereur ne médite quelque coup de théâtre italien qui lui servirait de paratonnerre. Depuis l’affaire Orsini, il est tout à fait favorable à l’indépendance italienne ; seulement le Pape et le Concordat l’embarrassent. Un conflit entre la Sardaigne et Naples pourrait, sans qu’il eût l’air d’y être pour quelque chose, mettre le feu à l’Italie. Le combustible est prêt et en si grande abondance qu’il suffirait pour allumer un incendie capable de s’étendre jusqu’à l’Allemagne. »