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mal inspiré ; il voit fréquemment les agens les plus actifs de l’extrême droite. »

M. de Cavour, voyant ses plans déçus, recourait à tous les moyens pour regagner la bienveillance des Tuileries ; à ce moment, parut au Moniteur une lettre d’Orsini à Napoléon III, datée de Mazas, 21 lévrier ; Jules Favre, son défenseur, avait été autorisé à la lire en pleine cour d’assises. « Il faut rendre l’Italie indépendante et dénouer ses chaînes, disait l’accusé. L’Empereur peut le faire ; de sa volonté dépendra le bonheur ou le malheur de ma patrie, la vie ou la mort d’une nation à laquelle l’Europe est redevable de sa civilisation. Telle est la prière que du fond de mon cachot j’ose adresser à V. M. Je l’adjure de rendre à ma patrie l’indépendance que ses enfans ont perdue par le fait des Français. Qu’elle se rappelle que, tant que l’Italie ne sera pas indépendante, la tranquillité de l’Europe et celle de V. M. ne seront qu’une chimère. Que V. M. ne repousse pas la voix suprême d’un patriote sur les marches de l’échafaud, qu’elle délivre ma patrie, et les bénédictions de vingt-cinq millions d’Italiens suivront votre nom dans la postérité[1] ! »

Que signifiait cette étrange publication ? On n’y comprit rien à Turin. Sommer le gouvernement piémontais, à propos d’un attentat, de pourchasser les réfugiés, d’édicter des lois répressives contre les journaux, et puis transformer l’auteur de cet attentat en héros, c’étaient là des actes contradictoires, qui portaient presque l’empreinte de la démence. M. de Cavour s’empressa de le faire ressortir dans une dépêche au marquis de Villamarina. « La lettre d’Orsini à l’Empereur, disait-il, lue en pleine audience avec l’approbation formelle du haut personnage auquel elle est adressée, a produit chez nous un immense effet. Elle le produira de même à un plus haut degré dans toute l’Italie. Cette lettre place Orsini sur un piédestal d’où il n’est plus possible de le faire descendre. Elle transforme l’assassin en un martyr qui excite la sympathie de tous les Italiens et l’admiration des gens qui sont loin d’appartenir à la secte de Mazzini. À Paris, on ne saurait juger de cet effet prodigieux ; mais ceux qui vivent sur le terrain brûlant de l’Italie, au milieu des passions et des colères qu’excitent

  1. Orsini avait écrit cette lettre à la suite d’un long entretien avec le préfet de police. M. Pietri lui avait fait comprendre que l’Empereur, loin d’oublier son passé et d’être un obstacle à la délivrance de l’Italie, comme il l’avait dit dans sa défense pour justifier son crime, était au contraire le seul souverain en Europe dévoué à la cause italienne.