Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 151.djvu/543

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mauvais effet de ce qu’écrit La Tour d’Auvergne ; c’est un scélérat, à qui j’ai déjà donné deux bonnes perruques (sic) ; mais il veut se faire du mérite à tout prix avec Walewski : laissez comprendre à ce dernier que je ne suis pas content de la manière qu’on traite tout ceci, ni de ses consuls. » Le Roi et son ministre savaient fort bien que le prince de la Tour d’Auvergne était le plus galant homme de la terre, un esprit charmant, affable, et d’une rare correction. S’ils le traitaient de scélérat et dénonçaient à l’Empereur ses relations avec les codini, « ses pires ennemis, » c’est parce que, demeuré fidèle à nos traditions, il ne se prêtait pas aveuglément au jeu de leur politique.


III. — LE TESTAMENT D’ORSINI

Les rapports étaient fort tendus entre Paris et Turin ; il semblait que l’Empereur désabusé voulût répudier la politique révolutionnaire des nationalités et revenir aux principes d’ordre et d’autorité auxquels il avait solennellement adhéré, à son avènement au pouvoir. Que deviendrait alors le Piémont privé de l’appui de la France ? Il avait rompu avec l’Autriche ; l’Angleterre liait partie en Orient avec le comte Buol ; le cabinet de Pétersbourg et le cabinet de Berlin réprouvaient les tendances du gouvernement sarde. Condamné à l’isolement diplomatique, le Piémont allait perdre en Europe le rang que lui assurait notre alliance.

Les craintes de M. de Cavour avaient d’autant plus de fondement qu’Orsini avait avoué, dans le cours de son interrogatoire, lui avoir offert ses services, peu de mois avant l’attentat. M. de Cavour, certes, ne pouvait en être rendu responsable ; il n’avait pas à se justifier. Nul plus que lui n’était intéressé à la vie de l’Empereur, car il le tenait pour l’instrument prédestiné à la délivrance de l’Italie. Il n’en crut pas moins devoir s’expliquer. « Orsini, écrivait-il au marquis de Villamarina, ayant parlé dans son interrogatoire d’une lettre qu’il m’a adressée, je vous en envoie copie ; elle a été écrite l’an dernier, à l’époque où l’Autriche retirait sa légation de Turin, et où l’on croyait les hostilités imminentes. La lettre fait honneur à Orsini ; il m’offrait son concours d’une manière franche et sans réserve. Je ne lui ai pas répondu, ne voulant pas avoir de rapports avec le parti révolutionnaire et parce que je ne croyais pas convenable de repousser d’une manière brusque des propositions inspirées par un sentiment généreux. Vous prouverez