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de nos deux souverains et ressent pour votre auguste empereur une plus grande vénération et une plus sincère gratitude. » Le Roi, de son côté, envoya le général della Rocca à Paris, avec une chaleureuse lettre de félicitations.

À l’indignation que le crime inspirait à la cour de Turin, s’ajoutait la crainte qu’il ne compromît, ayant été perpétré par un Italien, l’alliance avec la France. Ne ferait-on pas remonter la responsabilité du forfait aux excitations de la politique piémontaise, à ses compromissions avec la révolution ? L’Empereur, l’un des rares hommes en France dévoués de cœur à la cause italienne, ne ferait-il pas un retour sur lui-même, et ne considérerait-il pas l’attentat, suivant de si près celui de Pianori et le complot de l’Opéra-Comique, comme un avertissement providentiel pour l’arrêter dans la voie où il s’était engagé ? Ne se détournerait-il pas d’un pays qui reconnaissait ses sympathies par des tentatives d’assassinat sans cesse renouvelées ?

Ces appréhensions étaient fondées, car, partout en Europe, on reprochait au cabinet de Turin ses connivences avec les révolutionnaires. En France, les journaux le prirent directement à partie. Le gouvernement impérial somma M. de Cavour d’expulser tous les réfugiés auxquels il donnait asile. Il demanda que la presse fût étroitement surveillée et que les attaques contre l’Empereur et son gouvernement fussent poursuivies d’office. On perdit à Paris tout sang-froid. Les mesures qu’on prit à l’intérieur : la substitution du général Espinasse à M. Billault avec le titre de ministre de la Sûreté générale, l’arrestation des suspects, les suppressions de journaux, la division de la France en cinq grands commandemens militaires, tout indiqua que la mise en demeure adressée au gouvernement sarde ne se bornerait pas à des notes diplomatiques.

M. de Cavour passa de mauvais momens ; il connut les angoisses patriotiques. Ses perplexités étaient grandes ; satisfaire aux réclamations de la France, expulser des Italiens, supprimer d’initiative des journaux piémontais ; ne serait-ce pas rompre avec le sentiment national, et même avouer implicitement une secrète solidarité avec les assassins ? Et, d’un autre côté, résister aux réclamations du gouvernement impérial, justement alarmé, n’était-ce pas engager la lutte du pot de terre contre le pot de fer et se fermer à jamais l’alliance sans laquelle on ne pouvait rien ? M. de Cavour chercha à détourner le calice ; il s’efforça de