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force des choses, et à reconnaître que les stipulations du traité d’Utrecht ne répondent plus à la situation actuelle. » C’est ainsi que parlent les Anglais, quand ils sont de sang-froid, et qu’ils veulent bien raisonner avec nous. Ils commencent par reconnaître notre droit, parce qu’il faut bien commencer par là ; puis ils nous demandent d’en céder quelque chose, quelquefois même de le céder tout entier, mais non pas sans compensation.

Le tableau tracé par lord Salisbury contient des traits fort justes. Sans doute les développemens de la colonie y sont un peu exagérés : pourtant ces progrès sont réels. Les richesses minières récemment découvertes n’ont peut-être pas la valeur que leur attribue l’imagination des Terre-Neuviens ; ils tireront longtemps encore plus de ressources de leur commerce avec nous que de l’exploitation de leurs mines : pourtant ces mines existent, et il est naturel de vouloir les exploiter. La question des homards et des homarderies a pris également une importance imprévue. Pour des causes en partie ignorées, la morue s’est raréfiée dans les eaux de Terre-Neuve. On la pêche aujourd’hui, et nous la pêchons nous-mêmes de préférence au grand banc, circonstance dont on abuse pour dire que nous n’usons presque plus du French Shore et que, dès lors, nous n’y avons plus d’intérêt. En revanche la pêche du homard, qui n’existait pas autrefois, a été inaugurée, il y a douze ou quinze ans, et s’est depuis lors très développée. On nous conteste le droit de la pratiquer, sous prétexte que le homard est un crustacé, et non pas un poisson, et que, de plus, on ne le pêche pas, mais qu’on le capte : or, le traité d’Utrecht, à le prendre au pied de la lettre, ne parle que de poissons et de pêche. Ce sont là de pures querelles de mots. Celle qu’on nous fait au sujet des homarderies que nous avons construites sur le rivage serait plus sérieuse, si elle reposait sur des faits exacts. Tantôt on prétend que nous ne nous servons plus du French Shore, tantôt on y dénonce nos empiétemens, ce qui ne laisse pas d’être un peu contradictoire. Il est vrai que nous nous servons moins du French Shore pour la pêche et pour le séchage de la morue, parce que, comme nous l’avons dit, le poisson s’en est retiré ; mais, s’il s’en est retiré, il peut y revenir, et cela suffit pour nous interdire de renoncer hâtivement à nos droits. Quant aux homarderies, on leur refuse le caractère d’établissemens provisoires, les seuls que nous ayons la faculté de construire ; mais les rapports de nos agens le leur attribuent. En tout cas, si nous n’avions pas le droit de les élever, les Anglais ne l’avaient pas davantage ; et ce sont eux qui ont commencé. Les premières homarderies ont été construites par