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ressources d’invention, et ce n’est pas à la portée de tout le monde. Il a une réelle entente de la scène. Il a surtout ce grand mérite de n’avoir pas pensé que le problème de l’adultère fût l’unique problème à l’étude duquel le théâtre dût se consacrer. Il est l’un des rares auteurs de ce temps qui nous transporte dans un monde différent de ce petit monde des oisifs, si connu, si uniformément pareil à lui-même, si complètement dépourvu d’intérêt. Il a le courage d’avoir du bon sens et d’être honnête. La conception qu’il se fait du théâtre est fort élevée. Il croit que le théâtre a pour objet de remuer des idées, et que, si d’aventure ce sont des idées saines, cela n’en vaut que mieux. Il s’est efforcé de dire son mot sur des questions qui sont des questions vitales. Il a l’ambition des grands sujets. Il a toutes sortes de belles intentions. Il faut le remarquer à son honneur.

Rappelons-nous, en effet, ses principales pièces. Je laisse de côté Ménages d’artistes, pièce de début, toute pleine d’inexpériences, série de tableaux grossièrement brossés, mais qui a du moins ce mérite de ne pas nous présenter la vie de bohème sous des couleurs d’idylle et la vie d’expédiens comme l’école de l’honnêteté. Blanchette est restée, du moins pour ses deux premiers actes, un des meilleurs ouvrages de M. Brieux. La fille d’un cabaretier de village a reçu une instruction soignée et coûteuse, elle est munie de son brevet, elle est devenue une demoiselle, et son bonhomme de père est tout fier de voir qu’elle est si savante et qu’elle a pris des manières si distinguées. Mais les brevets ne nourrissent pas leur titulaire. La place espérée se fait attendre. Le cabaretier déçu s’aperçoit, mais un peu tard, que le résultat des sacrifices qu’il s’est imposés est tout au rebours de ce qu’il s’était promis. Donc il se retourne furieux contre Blanchette, qui, dans l’espèce, est victime de la vanité de ses parens. La morale est qu’il ne faut pas donner aux enfans une éducation qui les rend étrangers à leur milieu, et que les fameux bienfaits de l’instruction donnée au peuple pourraient bien n’être qu’une amère dérision. L’Engrenage nous transporte dans le monde politique. L’honnête Remoussin vivait obscur et tranquille dans son coin de province. Pour son malheur le vœu de ses concitoyens l’appelle à la députation. Il arrive à Paris, il siège à la Chambre, il fréquente les ministres ; peu à peu ses principes se font moins rigides, sa conscience s’assouplit ; un beau jour, et sans qu’il sache en vérité comment la chose a pu arriver, il se trouve que son nom est inscrit sur un carnet de chèques. Les Bienfaiteurs sont une satire de la charité mondaine. Des dames se réunissent, membres et présidentes d’Œuvres variées. Le jour où l’Œuvre