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de vos relations. À Marseille, comme je demandais à un marin le nom d’un feu éloigné, tout à l’entrée de la passe : « C’est Planier, monsieur, me dit-il ; Planier, un b… comme il n’y en a pas beaucoup ! » Dans la grande navigation, quand, après de longs jours de mer, l’homme de vigie dans la hune signale le premier feu d’atterrage, tout le navire est en émoi : la cloche sonne au bossoir ; on hisse le drapeau ; les hommes se précipitent à l’avant, s’embrassent, pleurent, pétrissent fiévreusement leurs bérets. Cela n’a été souvent qu’un éclair dans la nuit, mais cet éclair, c’est le premier salut de la terre natale, la première étincelle du foyer domestique retrouvé, deviné sous le morne écran nocturne. On crie : « Vive Armen ! Vive Cordouan ! Vive Planier ! » de la même façon qu’on acclamerait une personne aimée. C’est un fait bien connu, il est vrai, que la disposition singulière des hommes qui vivent dans la familiarité de la mer à personnifier les forces naturelles. Combien plus, quand ces forces ont un langage, quand elles disent en mots lumineux comme ici : « Prends par tribord ; évite mon secteur rouge qui donne le danger ; cherche l’alignement de cet autre feu que tu vas voir derrière moi ; va de l’avant, le port est proche. » Qui entend ce langage est bien près de lui donner la réplique, de remercier à mots polis le charitable avertisseur. Bien peu y manquent. Le pêcheur côtier surtout, qui, plus encore que le marin du commerce, vit dans l’intimité des phares, passe la moitié des nuits sous leurs clartés tutélaires, s’est fait avec eux un langage approprié, d’une richesse et d’une variété surprenantes. De la lueur du phare, il ne tire pas seulement des indications pour la route à suivre, pour les périls à éviter. Il lui demande des renseignemens sur la météorologie du lendemain : feu blanc qui tourne au rougeâtre, signe de pluie ; feu qui se dédouble, signe de froid sec ; feu bas sur l’eau, signe de mauvais temps. Le degré de visibilité et d’intensité des feux fournit à une nomenclature plus riche encore. Et ces indications, ces renseignemens ne trompent jamais : le phare est infaillible. Cela ne laisse pas d’accroître sa réputation. Être de clarté, il n’émane de lui que clarté. Alors que chaque rocher de la côte a sa légende, ses larves, ses monstres, sa fantasmagorie d’apocalypse, quand la mer, les vents, les courans, la nuit, s’incarnent et se multiplient en on ne sait quel grouillement d’épouvante, lui, échappe au maléfice ; sa pure splendeur fait reculer la superstition.

Les folkloristes, qui ont porté leurs recherches de ce côté,