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L’Atlantique et la Manche ignorent ces complaisances. Les pointes de roches avancées, où l’on a dû bâtir certains phares de grand atterrage, ne découvrent qu’au jusant. Impossible d’y ouvrir un chantier ; les matériaux et le personnel sont apportés chaque jour du continent. Il faut attendre, pour prendre possession du roc, que les assises de la construction aient dépassé le niveau des hautes mers. Aux Grands Cardinaux, petite roche de l’archipel de Groug-Guès, la violence des lames et du ressac ne permettait point l’accostage par temps calme et jusant : on dut mouiller des bouées à une distance suffisante de la roche. Les embarcations s’amarraient sur ces bouées et, pour décharger les matériaux, empruntaient le croc d’une itague, dont le filin, après avoir passé sous une poulie de l’échafaudage provisoire, communiquait avec un treuil fixé sur la roche. Au raz de Sein, sur la Vieille, où les courans atteignent sept milles à l’heure dans les petites marées de mortes eaux et dix milles dans les grandes de vives eaux, l’accostage semblait encore plus malaisé. De pareils courans de masse, troublés par les formes accidentées des fonds, contribuent puissamment à l’agitation de la mer. Un premier projet pour l’érection d’un phare à cet endroit fut présenté en 1872. On n’osa y donner suite. Les études furent reprises en 1879. « Contrairement à ce qu’on croyait, dit le rapport du service des phares, on constata que la roche produisait un remous sensible dans les courans de marée, surtout pendant le flot ; que, grâce à ce remous, la tenue d’une chaloupe de charge le long de la roche était possible, même dans les vives eaux, par mer belle. » De forts organeaux furent scellés dans le roc et quelques massifs de maçonnerie améliorèrent l’accostage nord-est. Les travaux commencèrent au printemps de 1882. Ouvriers et conducteurs venaient de Sein sur le baliseur, avec les matériaux et les canots d’accostage : la tour fut terminée en 1887 et le nouveau feu allumé le 15 septembre. Aux Triagoz, moins exposés, la difficulté était autre : une roche accore, la terre à vingt et un kilomètres de distance. Aux Heaux, le grain de la roche s’effritait. On avisa enfin deux aiguilles de porphyre noir résistant et l’on établit de l’une à l’autre une plate-forme en maçonnerie dépassant de quatre mètres le niveau des hautes mers. Un abri provisoire y fut installé pour les ouvriers ; mais l’espace était trop restreint. Les hamacs se touchaient ; le scorbut fit rage. Pour enrayer l’épidémie, on soumit les ouvriers à un régime spécial : la boisson et les