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une mer dont la baie d’Antibes pourrait jalouser l’indigo. Mais la partie nord, balayée par les vents, est d’une sauvagerie absolue : il n’y vient que des pierres et des brousses rases couleur de rouille, où s’abattent à l’automne les vols criards des étourneaux. Les fortes marées d’équinoxe, désagrégeant l’argile, enlèvent d’un seul coup d’énormes pans de falaise. Il n’est même pas besoin de ces marées ; le duel se poursuit jusque par beau temps. La mer est là ; on la sent à de soudains tressaillemens du sol. Tandis que vous la croyiez inactive, elle poussait au pied de la falaise quelque sape profonde, achevait entre deux syzygies, de ses petites lames aiguës, l’affouillement d’une assise. La côte, avec son prolongement sous-marin, sur une aire de dix lieues, n’est ainsi qu’un grand champ de bataille toujours disputé et dont il émerge encore, à plus de trente milles au large, des débris de continens mal ensevelis :

Etré Pempoul a Lokémo,
Ema gvvélé an Anko…

« Entre Paimpol et Locquémau, dit un proverbe breton, là est le lit de la mort. »

Durs parages pour la navigation ! Le balisage et l’éclairage, avec une louable persévérance, depuis soixante ans travaillent à en atténuer les périls. Dix phares principaux ont été construits aux endroits les plus exposés. Quand le crépuscule descend sur la mer, ils s’allument tous en même temps. Au point extrême de l’horizon, dans le nord-ouest, les Roches-Douvres dardent un long éclat blanc. Moins puissant, le phare de Lost-Pic, sur les Metz de Goëlo, dans ses occultations d’une seconde simule un œil qui clignote. Porz-Don, à l’entrée de Paimpol, le Paon, au nord de Bréhat, Janus riverains, ont deux secteurs, selon l’alignement où on les prend du large, rouge à tribord, blanc à bâbord. La Corne est verte, du vert aigu des prunelles qui ont longtemps regardé la mer. Les Sept-Îles, la Croix, la Horaine, se renvoient leurs feux amis, laiteux effluves que traverse, par momens, la violente fusée pourpre des Triagoz. Et voici le foyer suprême, l’étoile merveilleuse entre toutes, le phare des Héaux, grand cierge de granit dressé à plus de quarante-huit mètres sur l’abîme, au point le plus exposé de la côte, et qui semble le chef de chœur, l’éblouissante Alcyone de cette pléiade marine.

Pour l’observateur placé sur le tertre du Rosédo, ces dix feux sont visibles à la fois : ils font autour de lui une couronne de