Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 151.djvu/372

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au XIe siècle surtout, les comtes de Toulouse et de Provence et les ducs d’Aquitaine étaient incomparablement plus riches que les premiers Capétiens, qui ne l’emportaient sur eux que par le titre royal et le prestige de l’onction sacrée. C’est que, si certains petits fiefs allaient s’émiettant de plus en plus, d’autres au contraire faisaient la boule de neige. Un long état de paix, en favorisant l’agriculture et en développant les relations commerciales, avait enrichi la bourgeoisie, et, par contre-coup, la noblesse. Par le nombre infini de droits que les seigneurs percevaient à l’occasion de toutes les transactions (droits de péage, de leude, de surveillance des marchés, d’inspection des mesures, etc. ), ils prenaient, sans courir aucun risque, leur part dans les bénéfices du commerce, de même qu’une foule d’autres taxes les faisaient participer aux richesses du sol. Mais c’est surtout d’une autre façon que l’accroissement de la richesse publique se répercuta sur leurs finances : un jour arriva, de très bonne heure pour le Midi, où les villes et les communautés furent assez riches pour se racheter à prix d’argent des droits seigneuriaux qui, à l’origine, pesaient sur la bourgeoisie. À partir du commencement du XIIe siècle, peut-être de la fin du XIe, la vente des exemptions de privilèges devint, parmi les nobles de toute catégorie, le plus usuel des trafics.

Pour un grand seigneur, les sources de revenus, — nous ne parlons que des sources régulières et légitimes, — étaient donc presque illimitées ; les seules dépenses vraiment lourdes étaient celles qu’entraînait l’état de guerre ; or, nous venons de le dire, du Xe au XIIe siècle, la paix n’avait été troublée dans le Midi que par des guerres privées sans importance. Jusque vers le XIe siècle, les nobles semblent avoir mis leur coquetterie à thésauriser. C’était chez eux une habitude d’entasser dans leurs coffres l’or monnayé et en lingots, les objets précieux, les armes travaillées, les riches étoffes, le vair et le gris ; on se constituait ainsi une sorte de musée, que l’on montrait orgueilleusement à ses hôtes : habitude qui n’était point toujours sans inconvéniens, comme le prouve certaine anecdote bien connue, rapportée par Grégoire de Tours au sujet du roi Clodéric. Mais, vers le début du XIe siècle, ces mœurs changèrent brusquement ; au lieu d’accumuler les richesses, il devint de bon goût de les dissiper en de fastueuses et retentissantes prodigalités. Il est vraisemblable que c’est de leurs expéditions en Orient que les barons occidentaux rapportèrent ces goûts : presque tous les