Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 151.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dehors et par jeter le désordre dans la rue. Les mesures les plus propres en apparence à produire l’apaisement produisaient tout le contraire C’est ainsi que le Roi, dans une pensée de bienveillance et de conciliation, avait ordonné la suppression du monument élevé en 1852 au général Hentzi et aux soldats tombés autour de lui dans la défense de la capitale contre les honveds insurgés sous Georgey. François-Joseph voulait faire disparaître ce souvenir de la guerre civile de 1848 et de la terrible répression qui l’avait suivie ; mais le ministre de la Guerre a décidé que le monument serait seulement déplacé, et qu’au lieu de s’élever sur une place publique, où il offensait les yeux de la population tout entière, il ornerait la cour d’une caserne. Croirait-on que cet incident, mal interprété par l’esprit de parti, a fait autant de mal qu’il était destiné à faire de bien ? Il y a des jours heureux où tout réussit, il y en a d’autres, plus sombres, où tout est interprété en mauvaise part. Pendant plusieurs semaines, la question du monument du général Hentzi a agité la ville de Pest, et a enfiévré les séances du parlement. Le temps s’écoulait, il était employé en discussions stériles, et il a été bientôt évident que le Compromis ne serait pas voté en temps opportun, si même il devait l’être jamais. Que faire ? Les deux ministres ont proposé une prorogation, pendant six mois, de l’état de choses existant. C’était une seconde prorogation après une première, et, probablement, une troisième devra intervenir après la seconde ; mais pouvait-on proposer autre chose ? Le malheur est que la prorogation n’avait pas plus de chances d’être acceptée par les deux parlemens que le projet de renouvellement lui-même, et que, si la situation en Autriche permettait de sortir de la difficulté par une espèce de coup d’État légal, il n’en était pas de même en Hongrie. Le gouvernement y avait une majorité, mais il ne pouvait pas s’en servir.

C’est alors que M. Koloman Tisza, l’ancien ministre qui a gouverné si longtemps son pays et qui soutient maintenant le baron Banffy avec beaucoup de dévouement et de courage, a imaginé un moyen, peu parlementaire évidemment, et sans doute peu correct, de sortir d’une situation devenue inextricable ; mais à des procédés révolutionnaires on est obligé de répondre par des procédés exceptionnels. Puisque la majorité ne peut pas se produire librement à la Chambre et y faire prévaloir sa volonté, M. Tisza a cherché un moyen pour cette majorité de se manifester en dehors de la Chambre, avec une force numérique telle que le gouvernement se sentît autorisé à passer outre à l’obstruction de la minorité. Il n’a pas eu de peine à réunir un grand nombre de signatures, dont quelques-unes ont été retirées par la suite, mais qui restent