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jours à peine à sa réunion. Nous avons regretté sa chute, parce qu’il avait prononcé le premier des paroles de tolérance, et qu’il avait orienté sa politique dans le sens d’une réconciliation nationale. Mais il a succombé : il ne s’agissait plus que de savoir comment il serait remplacé.

Il l’a été par un ministère radical. Si les radicaux avaient eu vraiment une majorité dans la Chambre, elle se serait groupée autour de M. Brisson ; elle l’aurait soutenu, elle l’aurait fait vivre. M. Brisson a des défauts, que nous avons plus d’une fois signalés ; il ne reste pas moins aujourd’hui encore la représentation la plus honorable et peut-être la plus complète de son parti. Pourtant son ministère a été déplorablement faible. Cela tient à des causes nombreuses, dont la principale pourrait nous dispenser d’indiquer les autres : c’est que les radicaux n’ont pas la majorité au Palais-Bourbon. Mais on a vu des ministères, qui n’avaient pas une majorité stable, vivoter pourtant de longs mois avec des coalitions de rencontre, qu’ils formaient suivant les besoins du jour, à force de savoir-faire et d’adresse. Il ne fallait demander à M. Brisson ni une adresse, ni un savoir-faire qui ne sont pas dans ses moyens. Son tort a peut-être été de croire qu’il pourrait se les approprier, et il a commencé par chercher un point d’appui dans le parti le plus violent, mais le plus inconsistant, le plus exigeant, mais le plus fluctuant, qui soit à la Chambre. Nous nous sommes promis de ne pas dire un mot, jusqu’à nouvel ordre, de l’affaire qui a si fort agité le pays et qui lui a déjà fait tant de mal ; elle est pendante devant la Cour de cassation, et nous attendons l’arrêt de la Cour, décidés à l’accepter quel qu’il soit ; mais, sans parler de l’affaire en elle-même, il est permis de dire qu’elle a exercé une influence considérable sur l’organisation, ou, si l’on veut, sur la désorganisation des groupes parlementaires. Tout un de ces groupes s’y est plongé comme dans une infusion d’énergie : c’est là qu’il a puisé toutes ses forces agressives. Au fond de l’âme, M. Brisson n’était nullement d’accord avec MM. Drumont, Déroulède et Millevoye : cependant il a accepté de leurs mains M. Cavaignac comme ministre de la Guerre. C’était construire son ministère sur une antinomie. Tôt ou tard, l’opposition latente qui existait entre les divers élémens du Cabinet devait se manifester au grand jour. L’affaire Henry a seulement précipité une crise inévitable. Le ministère Brisson a duré quatre ou cinq mois. C’est beaucoup ; on s’étonne qu’il ait pu vivre aussi longtemps ; il n’y serait jamais parvenu s’il n’y avait pas eu là-dessus trois mois de vacances. Il n’était pas né viable. Néanmoins, dans sa courte et artificielle existence, il a fait beaucoup de mal. Il a donné aux radicaux