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IV

Mais, en revanche, la chirurgie a tiré le meilleur parti de la cocaïne pour l’anesthésie localisée, qui s’applique à rendre indolore la seule région qui doit subir l’opération.

Nous avons dit quelle extension avait prise son emploi en chirurgie oculaire. Son intervention dans la chirurgie dentaire n’est pas moins fréquente. On l’utilise encore pour les petites opérations sur le larynx. Elle sert à faciliter la pénétration de la sonde dans l’oreille moyenne, à émousser la sensibilité de la muqueuse uréthrale, à rendre indolores et plus aisées les manœuvres de la lithotritie. On l’a employée en obstétrique. Ses applications sont innombrables.

Lorsque, au lieu d’une insensibilisation superficielle, le chirurgien recherche une anesthésie plus profonde, il ne se contente plus d’humecter seulement les surfaces nues avec la solution de cocaïne. Il la fait pénétrer par injection dans l’épaisseur du derme, partout où doit passer le bistouri.

Il importe que la substance reste dans les points où elle a été déposée, d’abord afin d’insensibiliser le trajet de la future incision, mais encore pour une autre raison qui n’est pas moins essentielle. Il faut éviter à tout prix la diffusion de l’agent toxique dans l’organisme. La solution la plus faible que l’on emploie pour l’anesthésie localisée est, en effet, encore deux cents fois trop forte pour l’usage interne, ainsi que nous l’avons montré. Sa pénétration dans le sang serait le signal de l’explosion des accidens plus ou moins graves de l’intoxication cocaïnique.

Les accidens étaient tellement multipliés, au début, dans la pratique des dentistes et des chirurgiens, que beaucoup d’entre eux renoncèrent à la cocaïne. Elle fut considérée comme un agent d’un maniement infidèle et très dangereux.

Vainement on avait essayé, pour se tenir à l’abri de toute alerte, de réduire la quantité de l’agent mise en œuvre. C’est une particularité bien remarquable de l’action physiologique de la cocaïne, que la grandeur de la dose ne soit pas la seule circonstance qui règle l’intensité des effets. Il y en a une autre dont il faut tenir compte : c’est le degré de concentration de la solution. Une petite quantité d’alcaloïde en solution concentrée produit des effets infiniment plus énergiques qu’une quantité plus grande en solution