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lapin de la cocaïne sous la peau jusqu’à ce qu’on voie apparaître l’agitation motrice, la contracture des muscles. À ce moment, l’animal est encore sensible. Lorsque l’on touche légèrement les yeux, les paupières se ferment (réflexe palpébral). Si, alors, on verse sur l’un d’eux, l’œil droit, par exemple, une goutte de la solution cocaïnique (à 1 pour 100), il devient aussitôt insensible, et ne réagit plus au contact. L’œil droit imprégné de cocaïne par le dehors est analgésié ; l’œil gauche, arrosé intérieurement, et certainement d’une façon plus parfaite, par le poison mêlé au sang, est resté sensible.

L’explication de ce paradoxe est facile. C’est une question de doses. Dans l’œil qui a subi l’instillation, les élémens nerveux de la conjonctive sont en contact avec une solution trop étendue. Injecter de la cocaïne sous la peau ou dans les veines, c’est mettre les tissus en présence de doses faibles : appliquer la solution de cocaïne (à 1 pour 100) directement, c’est mettre les mêmes tissus en présence de doses fortes, et même colossales par rapport aux précédentes. On s’en fera une idée par les chiffres suivans. Imaginons un chien pesant 13 kilos ; la quantité de son sang est de 1 kilogramme. Pour que ce sang contienne 4 pour 100 de cocaïne, comme les solutions qu’on applique extérieurement, il faudrait injecter à l’animal 10 grammes de cocaïne. Il ne pourrait supporter une quantité pareille ; la dose mortelle pour un animal de cette taille est de 52 milligrammes. On peut donc dire que l’on met en jeu, dans le cas de l’application locale de la solution à 1 pour 100, une dose deux cents fois plus forte que celle qui, introduite dans les veines, serait mortelle.

Il faut revenir maintenant au problème de l’analgésie cocaïnique. On sait qu’il y a deux manières de l’obtenir : par application locale de la substance et par son introduction dans les veines.

L’application localisée revient, ainsi que nous venons de le voir, à mettre en contact des doses massives du poison avec le tissu à insensibiliser. La cocaïne paralyse les nerfs sensitifs qu’elle atteint. Elle est capable d’agir sur les cordons nerveux eux-mêmes ; mais, lorsqu’on l’applique sur une muqueuse, elle n’arrive pas jusqu’à eux ; elle n’atteint que les élémens nerveux, délicats, dissociés, superficiels, des terminaisons. La muqueuse la plus impressionnable est celle de la conjonctive et de la cornée, parce que c’est précisément celle où les terminaisons nerveuses