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pas su améliorer et dont le second époux fit une très bonne personne, à l’aide de son bâton :

« Je crois que les maris ont à peu près l’art de rendre les femmes bonnes ou mauvaises. Un proverbe dit : bonne femme et femme mauvaise ont besoin du bâton ; moi, je pense que la mauvaise en a besoin, mais non la bonne. En effet, si les coups se donnent pour changer les défauts en qualités, ils conviennent aux méchantes, afin qu’elles se corrigent, mais non pas aux bonnes, car, si celles-ci venaient à changer, ce serait en mal, comme il arrive souvent aux bons chevaux trop battus, qui deviennent rétifs. »

On aperçoit ici l’aridité morale qui fut, après l’époque généreuse de Dante et de saint François d’Assise, le mal caractéristique de l’âme italienne. Sacchetti s’établit bien à son aise en son personnage de popolano guelfe, marchand de florins, de drap ou de velours, tyran domestique, âpre à la satire comme au profit, étranger à toute pensée haute comme à toute passion profonde, mais, dès qu’il a quitté sa maison, dont il verrouille soigneusement la lourde porte, avide du spectacle extérieur, heureux des ridicules, des extravagances ou des mésaventures de ses voisins, charmé par l’éternelle comédie que donne aux simples passans la ville la plus spirituelle de l’Italie. Rapproché du lumineux Boccace, sensuel et si tragique, si pénétré souvent de tendresse humaine, le conteur bourgeois vous paraît terne, un peu vulgaire, trop volontiers loquace ; c’est un compère qui déroule, en un réveillon de Noël, tout un chapelet d’anecdotes florentines, afin d’allumer la joie bruyante des convives. Prenez-le à part ou, plutôt, replaçez-le dans son monde du Mercato Vecchio, c’est, dans la littérature italienne, le plus sûr témoin de sa démocratie, de cette Florence si laborieuse et si tourmentée, d’esprit pratique et réaliste, portée à l’ironie plus qu’à l’enthousiasme, d’humeur difficile à l’égard de l’Église, plus soucieuse de goûter les joies terrestres que de mériter, par l’ascétisme, les béatitudes du paradis : toute une civilisation qui allait finir avec le régime social d’où elle était sortie.


EMILE GEBHART.