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Quand un bourgeois de Florence se mêle d’aller à la bataille, au lieu d’en laisser le soin aux mercenaires de la commune, Sacchetti hausse les épaules, le traite de mouche du coche et l’accable sous cette maxime : « Chi è uso alla mercatanzia non può sapere de guerra, un bon marchand n’entend rien aux choses militaires. » Qu’il imite plutôt cet Alberto de Sienne qui, au moment où ses compagnons vont engager le combat contre les gens de Pérouse, descend paisiblement de cheval, se retire à l’arrière-garde et se justifie de ce mouvement défensif de la façon la plus simple : « Si mon cheval est tué, on pourra m’en dédommager, mais, si je suis tué, qui m’en dédommagera ? » Sacchetti juge très raisonnable la conduite d’Alberto. « À la guerre, le vilain est en meilleure situation que le noble ; celui-ci est toujours fait prisonnier quand on a pris son cheval, on prend seulement le cheval de l’autre et on laisse libre le cavalier. » Et cette facile morale se montre en toutes ses applications. Un gros marchand de Florence, Bartolo Sonaglini, afin de ne point payer la patente de guerre, cric à tout venant qu’il est ruiné, que son navire, chargé de marchandises, a fait naufrage, que d’impitoyables créanciers lui veulent arracher son dernier florin. Il crie si fort que les Sept, réunis en conseil, émus d’une si grande détresse, l’exemptent de l’impôt. Et Sacchetti d’applaudir : « Moi, le narrateur, je crois que ledit Bartolo eût paru fort répréhensible si Brutus ou Caton ou leurs descendans avaient composé le conseil des Sept ; « mais, étant données les méchantes dispositions des magistrats, ennemis des marchands, je le proclame digne d’une éternelle mémoire, comme le marchand le plus avisé qui fût alors au monde. »

« Chacun pour soi » est une règle de conduite que toutes les villes italiennes pratiquaient sans mesure et qui fut pour l’Italie la cause la plus efficace de son impuissance et de sa ruine. Dante en avait dénoncé les mortels effets, Sacchetti n’en soupçonne point les conséquences, dans ce désordre social de la péninsule qui éveille en lui une si grande angoisse. Cet écrivain sincère nous fait comprendre à quel point le régime communal avait perverti, dans les plus florissantes cités, la notion de communauté humaine, à tous ses degrés. Ses vues sur la famille ne sont point supérieures à son égoïste conception de la vie civile. Il y mêle la brutalité des trouvères de fabliaux à la sécheresse de cœur des gens de comptoir. Pour lui, le mariage est un trafic. « On se