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Sacchetti fut éminemment un bourgeois florentin, popolano de race et d’éducation, guelfe blanc, c’est-à-dire un modéré. Son horizon politique est bien étroit. Pour un guelfe de Florence, le campanile de la seigneurie marquait le centre de l’univers ; le Baptistère, le Mercato Vecchio, le Ponte Vecchio, le cloître de Santa-Maria-Novella semblaient les objets les plus dignes de tendresse. Tout le reste de l’Italie, Rome, Venise, Milan, tout le reste de l’Occident n’intéressent le guelfe que par le bien ou le mal que Florence en peut espérer ou craindre. Le guelfe est d’esprit conservateur : il aime, en sa cité, les choses antiques et vénérables, les vieilles mœurs, les vieilles libertés municipales, les vieilles tours fortifiées, qui sont le symbole farouche de ces libertés, les traditions d’âpre labeur et d’épargne, la beauté des sombres échoppes où les ancêtres ont attiré les florins du monde entier, la majesté des tables de changeur dont les papes, les rois, les seigneurs, les condottières forment la clientèle très humble. Le guelfe aime l’Église, qui tient en sa droite la clef du paradis, mais il se méfie des ambitions et de l’orgueil de l’Église ; il fait sa révérence au Pape, parce que le Pape est l’ennemi de l’Empereur et doit beaucoup d’argent aux banques florentines ; mais il ne permet pas au Saint-Père de se mêler d’une façon trop empressée des affaires de Florence. Il écarte les clercs de la vie communale, les surveille avec une sollicitude maligne et leur ferme sa porte et sa bourse. Sa religion est de figure vraiment chétive ; elle se disperse et se complaît en petites confréries, en chapelles de quartier, en fêtes patronales ; c’est un christianisme municipal, qui peut assurer la dignité de la famille, la paix du foyer conjugal, la probité du comptoir : le tiers ordre franciscain, libre communauté où le personnage du laïque compte autant que celui du clerc, où la corporation se retrouve, unie sous sa bannière, en face de l’Église, voilà, pour le popolano, la chrétienté parfaite, qui marche tout droit vers le royaume des cieux.

Sacchetti ne fut donc ni un lettré délicat, ni un humaniste, ni un poète. Le compilateur du Novellino avait recueilli des anecdotes et des souvenirs venus de fort loin, de la Bible, de la Grèce, de la vieille Rome, de l’Orient musulman ; Boccace avait lu non seulement les conteurs français, mais les romans de la Table Ronde ; il portait en son cœur Homère et Virgile ; il cherchait même dans l’antiquité, quand il écrivait en langue latine, d’édifians exemples de constance philosophique et d’héroïsme.