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ont, sur la foi de Lamotte et sans trop se soucier d’y aller voir, parlé de sa galanterie et de l’impardonnable violence de Mme Dacier. Nous en parlons après eux. Je ne songe guère à prendre la défense du livre de Mme Dacier : c’est un pauvre livre, et, pour l’indigence du fond, il mérite d’être mis à côté de ceux de Lamotte. Et il est bien vrai que l’argumentation de cette dame est sans grâce ; mais aussi n’y prétend-elle pas ; pédante elle est, et elle se donne pour pédante. Dans une discussion, qui est vraiment une discussion de collège, elle emploie les procédés du collège. Persuadée qu’une affaire qui touche à la direction des études et aux méthodes d’enseignement ne saurait être sans conséquence, elle la traite donc comme une affaire de conséquence. « M. de Lamotte parle d’un ton si affirmatif que cette belle censure a imposé à un grand nombre d’ignorans. Que dis-je d’ignorans ? Elle a surpris des gens savans, des gens dont la profession est d’être hommes de lettres et même de les enseigner. Que ne doit-on pas craindre pour les jeunes gens ? C’est pour eux et en leur faveur qu’il est nécessaire de répondre ; il faut tâcher de les munir contre ce nouveau poison. » Lamotte triomphe. Ce n’est pas pour rien qu’il possède le grand art de parler avec frivolité des choses sérieuses. Il en use pour ridiculiser sa candide ennemie. « Cet endroit fait rire par ces termes graves et pathétiques de témérité, de licence, de désordre, d’attentats injurieux et d’indignation, appliqués à une matière si frivole. » Mme Dacier croyait aux choses qu’elle disait ; voilà le ridicule dont elle ne s’est pas relevée. Lamotte professe au contraire le plus parfait détachement. Il ne se fait pas d’illusions sur son art et sait ce que vaut le métier d’arrangeur de mots. Il fait bon marché de ses idées, qu’il donne moins pour des idées que pour des sentimens ou des conjectures. Quant à la question en litige, il s’en faut qu’il s’en exagère la gravité : « La question du mérite d’Homère est peut-être celle de toutes sur laquelle il est plus permis de parler. Peut-être aussi en vaut-elle si peu la peine qu’il serait encore plus prudent de s’en taire... Je connais trop bien le peu d’importance de la matière pour en fatiguer davantage le public... » Ces déclarations abondent sous la plume de Lamotte et impriment fortement dans notre esprit l’idée que ce galant homme est incapable de tout parti pris et de toute mesquinerie d’auteur. Mais alors, s’il est si peu attaché à ses propres sentimens, d’où vient qu’il soit si peu disposée y renoncer ? S’il fait si peu de cas de ses argumens, d’où vient que, parce qu’on les a déclarés pitoyables, il s’en trouve « insulté » ? Puisque la discussion lui parait de si peu d’importance, d’où vient qu’il ait ranimé la querelle assoupie et qu’il l’entretienne,