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pour Decazes se manifeste en des exclamations pareilles, à toutes les pages de leur volumineuse correspondance. La santé de son fils, les nuits de son fils, les souffrances de sa fille, souvent malade, les inquiétudes que lui cause la grossesse de la jeune femme, tout cela donne lieu chaque jour à des commentaires dont la longueur n’est égalée que par celle des réflexions que lui arrache son propre état. Il ne sait comment exprimer sa tendresse ; il en prodigue les témoignages ; plusieurs semaines avant l’accouchement de la comtesse Decazes, il écrit au mari :

« J’ai dit ce matin au Duc d’Angoulême que j’allais lui parler comme à confesse, qu’Egédie étant décidément grosse, tu désirais que je fusse le parrain de l’enfant ; que j’en mourais d’envie, mais qu’il me fallait une commère ; qu’à la vérité, j’étais bien sûr que ma nièce ne me refuserait pas, mais que cela ne me suffirait point, si je n’avais la certitude qu’elle ne serait pas sèche comme un cent de clous, ni avec toi, quand tu irais la remercier, ni au baptême, que je comptais bien faire en personne ; que je le priais de sonder le terrain et que de sa réponse dépendrait que tu me fisses ou non la demande officielle.

« Il m’a très bien compris et il m’a demandé si c’était la pure vérité que je demandais.

« — Sans doute, lui ai-je répondu ; tant dure puisse-t-elle être, je préfère la peine qu’elle me causera au chagrin de causer un désagrément à celui que j’aime tant.

« Alors, il m’a demandé quelques jours pour remplir sa mission. »

La mission échoue. Au commencement de juin, quelques jours après la naissance de l’enfant, le Roi l’apprend à Decazes. N’écoutant que le ressentiment qu’elle nourrit comme les autres membres de la famille royale, son mari excepté, contre le favori de son oncle, la Duchesse d’Angoulême répond à la première ouverture qui lui est faite « qu’elle est toujours aux ordres du Roi », et rien de plus.

« Tu peux juger de la peine que je ressens ; elle est bien accrue par la tienne… Ne pas être le parrain de ton enfant serait pour moi une peine cuisante. Je crains d’être taxé de faiblesse par les uns et que les autres n’aient l’audace de dire que j’ai essuyé un refus. D’autre part, t’exposer, le jour du baptême, à un désagrément public est un tourment auquel je ne puis penser sans frémir. »