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Sapho : visage énergique respirant la volonté et la passion, expression sérieuse adoucie par le charme pénétrant du regard, lèvre inférieure pleine et sensuelle ; c’est un portrait tout littéraire. Il n’a pas plus d’authenticité, bien que le personnage appartienne à l’histoire, que n’en aurait le portrait d’un héros de la légende épique.

Reconstitution d’une physionomie, jeu de l’imagination qui crée librement, en dehors du modèle, ou, si la réalité est observée, simplification idéale de cette réalité, que tout cela est loin des scrupules modernes ! Cependant n’aurions-nous pas profit à connaître, à aimer l’idéalisme de Phidias ? Assurément, si on l’applique à la sculpture de portraits, cet idéalisme, toujours occupé à corriger l’œuvre de la nature, nous trouble à bon droit, comme un manque de respect envers la nature elle-même. Mais le danger n’est pas là pour notre siècle précis et positif, et nous ne nous laisserons jamais entraîner trop loin sur cette pente. En revanche, un tel art nous apprendrait le secret de la force calme, de la grandeur sereine. Il n’est rien dont nous ayons plus besoin. Nous ne trouvons autour de nous qu’inquiétude, agitation, fièvre. Nous souffrons d’une sensibilité affinée à l’excès, devenue exaspérée. Nous sommes malades de nos nerfs trop tendus. Les personnages qui revivent dans les statues ou sur les reliefs attiques, n’ont, pour ainsi dire, pas de nerfs : ils savent du moins les dominer. Mettons-nous donc à leur école et demandons-leur quelque chose de leur parfaite tranquillité et de leur bel équilibre. Notre art y retrouverait la santé qu’il n’a plus guère.


III

Ce n’est pas tout ; et, à suivre le développement de la sculpture grecque, d’autres leçons se dégagent plus directes, plus immédiatement appropriées au genre du portrait. Il ne s’agit plus seulement de qualités générales à retenir, parmi d’autres qui ne conviennent pas aux exigences de notre époque. Ce sont des œuvres à étudier tout entières, comme ayant réalisé la conception qui peut, qui doit être encore la nôtre. L’art grec a fini de créer ces types d’éternelle beauté devant lesquels un Renan se prosternait avec émotion et laissait échapper la fervente « prière sur l’Acropole » ; mais il n’est pas mort pour cela ; il se renouvelle au contraire avec une merveilleuse vitalité. Aux créations où se révélait le divin, succèdent les créations humaines et tout le cortège