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faire fléchir l’histoire plutôt que d’affaiblir cette impression.

Ainsi des autres œuvres de ce temps et de l’époque postérieure. Car le IVe siècle, si différent du Ve, cependant, et pénétré à beaucoup d’égards d’un esprit tout nouveau, demeure, dans le portrait, le plus souvent fidèle aux principes idéalistes de l’âge précédent. Que vous preniez le soi-disant Phocion, ou le faux Thémistocle du Vatican, le fameux Sophocle du Latran, les bustes de Platon, tous sont très éloignés d’un rendu exact de la physionomie. Les formes n’ont plus rien de sévère sans doute, et le style est très assoupli ; mais l’artiste refuse encore de s’asservir à son modèle. L’individualité de la figure se limite toujours à l’essentiel ; elle ne se laisse qu’entrevoir et comme deviner derrière cette expression générale de noblesse et de distinction suprêmes. La ligne ininterrompue, presque droite, du front et du nez, le développement de l’arcade sourcilière, l’enfoncement des yeux, l’effacement des plans des joues, tout cela c’est ce que l’on est convenu d’appeler le profil grec, profil consacré, formé d’élémens qui sont empruntés à la réalité, mais arrangés et modifiés en vue d’un certain idéal.

A mesure qu’on avance dans le siècle, les images des grands hommes, surtout des écrivains célèbres, se multiplient rapidement. Plus on se désintéresse alors de l’État et de l’action publique, plus on s’attache avec un goût passionné aux choses de l’esprit et à la littérature. On ne se contente même pas d’honorer les contemporains ; on veut aussi rendre hommage aux illustres morts du passé. En ce genre de représentations, il faut s’attendre à ce que la tendance à idéaliser domine, plus puissante que jamais. Pour un Sophocle, un Thucydide, on pouvait se reporter à des portraits antérieurs, exécutés du vivant même du poète ou de l’historien. Mais s’il s’agit d’époques plus lointaines et d’œuvres pour lesquelles tout modèle a fait défaut, quelle peut être alors la valeur iconographique de pareilles statues ? Le portrait de Sapho par exemple, de l’Athénien Silanion, n’est qu’un portrait de libre fantaisie. L’activité de la poétesse remontant au début du VIe siècle, à cette époque la sculpture grecque commençait seulement à se développer et l’art était impuissant à copier sur le vif les traits d’un modèle. C’est d’après les textes ou les renseignemens transmis par la tradition orale que Silanion a conçu son personnage. Et de fait, regardez la belle copie conservée à la villa Albani. Après avoir lu ses poèmes, c’est bien ainsi qu’on se représente