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tirent tout leur prix de l’exactitude des proportions ; Phidias, dans la forme parfaite de Polyclète, introduit la pensée et le sentiment que son émule n’y mettait point. Et cependant, malgré ces chemins opposés, tous les trois se rencontrent dans la façon de traiter le visage. Tous en éliminent les accidens particuliers, les nuances passagères, les apparences superficielles, pour n’en retenir que les caractères fondamentaux, les traits communs au groupe tout entier dont ils veulent laisser comme l’exemplaire achevé. Qu’ils représentent un lanceur de disque, un athlète, un guerrier, ils dégagent toujours ce que la réalité a de plus essentiel et de plus profond. Ils simplifient comme des philosophes, ils idéalisent comme des poètes. Prenez le Discobole de Myron, le Doryphore ou le Diadumène de Polyclète, les Athéniens de la frise du Parthénon, sortis de l’atelier sinon du ciseau de Phidias. Pas un ne vous offrira une physionomie particulière. Le Discobole était sans doute la statue d’un certain athlète vainqueur ; l’artiste ne l’en a pas moins représenté sous une forme toute généralisée : un corps dans une attitude neuve et intéressante, ramassé sur lui-même par un mouvement compliqué et tout prêt à se détendre dans un effort, une tête tournée vers le disque et obéissant à la direction du bras, voilà ce qu’il a vu et voulu rendre. Le visage aura les traits réguliers, purs, corrects, convenant à tous les athlètes. De même pour les deux statues de Polyclète : le Diadumène est n’importe quel éphèbe, nouant autour de son front le bandeau des vainqueurs, et le Doryphore ou Porte-lance était regardé, on le sait, dès le vivant de son auteur, comme le canon, c’est-à-dire comme la règle applicable à toute figure humaine. La voix populaire a bien surnommé ces trois œuvres : c’est le Discobole, le Diadumène, le Doryphore par excellence. Quant aux personnages sculptés sur la cella du Parthénon, à ce défilé tour à tour gracieux et brillant des jeunes filles et des jeunes cavaliers d’Athènes, Phidias les avait contemplés plus d’une fois se dirigeant, à travers les rues de la ville, vers la colline sacrée et le temple de la déesse poliade ; il en avait vu l’aimable diversité ; il a mieux aimé pourtant fondre toutes ces variétés individuelles dans un type qu’il a rêvé, exquis de pureté et d’élégance, le type idéal de la vierge et de l’éphèbe athéniens.

Simplifier, généraliser, idéaliser, autant d’opérations de l’esprit bien différentes des tendances actuelles du portrait. Les maîtres archaïques on différaient également. Mais alors, c’était impuissance,