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Prenons le littoral de la Picardie, de la Manche, par exemple, avec les importans centres de pêche qui ont nom Boulogne, Dieppe, Fécamp, etc., et considérons les espèces qui s’y pèchent, et qu’on pourrait multiplier. Il y a de quoi s’occuper toute l’année. M. Eugène Canu a dressé cette liste, en indiquant l’époque normale de reproduction. Supposons donc un laboratoire de pisciculture marine installé sur un point quelconque de cette côte, et voyons quelle sera sa besogne.

Dès l’entrée de l’hiver, dès novembre ou décembre, il lui faut fonctionner. La morue est là, en effet, pleine d’œufs et de laitance, et de décembre à février, on peut multiplier cette espèce. Elle n’appartient point à la catégorie des poissons les plus recherchés, de ceux qui constituent un mets de luxe : et pourtant elle se vend toujours. En janvier, jusqu’en mars, c’est le tour du carrelet, si abondamment multiplié dans le laboratoire de Dunbar, et le carrelet, lui aussi, se consommera beaucoup, s’il devient abondant. De février en avril, trois espèces se présentent, prêtes à se reproduire : le merlan, la lingue, et le flet, poissons très sains, excellens, très appréciés de la masse des consommateurs. Le printemps n’arrêtera point les opérations, car, en mars et avril, deux espèces demandent à partager les soins offerts aux trois qui viennent d’être citées : la limande et l’églefin ; et en mars la reine de nos eaux, — au point de vue culinaire, cela s’entend, — réclame l’attention : la sole. De mars en juin, la sole est apte à se multiplier, et nul ne contestera l’intérêt qu’il y aurait à rendre cette espèce beaucoup plus abondante qu’elle ne l’est. Au mois d’avril, deux espèces également précieuses s’y joindront : le turbot et la barbue. De mai à septembre, les trigles feront leur apparition, et de juin en juillet, ce seront les maquereaux. Eu plein été, on pourra encore occuper très utilement le laboratoire par la multiplication artificielle des brèmes, dorades, surmulets, et c’est tout juste si l’on aura, à l’automne, un mois ou deux de répit pour se reposer ou pour remettre le matériel en état.

Toute l’année durant, ou peu s’en faut, le laboratoire de pisciculture marine peut s’employer utilement, et pour peu qu’on sache s’y prendre, pour peu qu’on profite de l’expérience acquise à l’étranger, pour peu que l’on organise intelligemment l’installation et qu’on assure l’approvisionnement, c’est par milliards que, chaque année, les alevins seront déversés dans nos eaux côtières. De difficulté sérieuse, d’obstacles importans, il n’en est pas.