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1879 et en 1882, à l’embouchure du Sacramento. Ils ont prospéré et se sont reproduits : on les trouve — eux et leur descendance — sur toute la côte de Californie où, auparavant, l’espèce n’existait pas. Les eaux du Pacifique semblent leur convenir beaucoup ; ils grossissent vite et se sont répandus au loin. Ce poisson est très recherché sur le marché de San-Francisco. Il pèse en moyenne de 3 à 4 kilogrammes, mais on en trouve aussi de 15 et 17 kilogrammes. Le coût de l’expérience a été de quelques centaines de dollars : et le rendement annuel est d’environ 90 000 francs. Ces faits et ces chiffres ont une éloquence telle qu’ils se passent de tout commentaire.

La gigantesque expérience en cours, par laquelle différens chercheurs tentent de démontrer la possibilité du repeuplement artificiel des mers, s’est faite tout entière en dehors de nos frontières. Il nous arrive souvent de répéter que nous mettons volontiers les choses en train, et qu’ensuite l’étranger s’empare des résultats obtenus, et en tire profil, tandis que nous restons à la traîne avec notre gloire… et nos déboursés d’inventeur. Ici, cela n’a point été le cas. Saurons-nous au moins profiter de ce qu’ont fait les autres ? Nous possédons des côtes assez étendues, et la population vivant des produits de la pêche est assez nombreuse pour qu’il vaille la peine de s’en préoccuper. En second lieu, les moyens qui réussissent ailleurs ne semblent pas devoir échouer chez nous. Il n’y a pas de raison pour que les effets bienfaisans de la pisciculture marine, s’ils existent, ne se présentent aussi bien dans notre pays que dans tel autre. Dans ces conditions, il s’agit seulement de savoir de quelle façon, sous quelle forme, nous pourrons nous associer au mouvement.

Le poisson ne manque pas sur nos côtes : la matière ouvrable ne fait point défaut, bien qu’elle ne se trouve point en quantité proportionnée à nos besoins. Notre pays, si libéralement pourvu de richesses naturelles, que la nature fit avenant et plein de grâce en y accumulant une variété de terrains, de climats, de paysages, qui frappe d’autant plus qu’on parcourt plus souvent les autres contrées ; notre pays, si bien muni des ressources du sol, est aussi parmi ceux dont les eaux littorales présentent le plus de variétés. Elles donnent abri aux espèces les plus estimées, les plus savoureuses qu’il y ait. Celles-ci y vivent naturellement, il n’y a pas d’importations à faire, pas d’emprunts à l’étranger : il suffit de développer ce qui existe.