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I

Dans ce réservoir immense, qu’à peine on peut sonder en certains points, tant il est profond ; dans ce réservoir qui recouvre la plus grande partie du globe, la vie est abondante. Elle y prend mille formes, plus variées les unes que les autres, étranges, parfois déconcertantes pour l’imagination, souvent utiles à l’alimentation de l’homme. Dans ce monde si prolifique des eaux, où, pour qui le voit, la vie bouillonne et se gaspille avec prodigalité, les alimens abondent : beaucoup d’espèces sont comestibles, et les poissons, en particulier, payent un large tribut à l’appétit de l’homme. Et on se demande s’ils n’en pourraient payer un plus large encore, si l’humanité ne pourrait prélever un impôt plus considérable.

Mais il faut bien s’entendre... Il n’est point question ici de tenter l’œuvre qui a pu se faire pour la terre ferme ; nous ne demandons point que par des soins judicieux l’on contraigne les eaux à nous fournir des espèces nouvelles, et peut-être infiniment savoureuses. Il ne s’agit pas de perfectionner le hareng, par exemple, et de le faire monter en grade, par des sélections savantes, de façon qu’il fasse oublier la sole ou le saumon, tant sa chair deviendra exquise. Nous pouvons et devons nous tenir contens de ce que la nature nous fournit, et il n’y a pas lieu de récriminer sur la qualité. Ce que nous demandons, c’est la quantité ; nous voulons que le nombre des individus soit accru, et que les pêches deviennent plus productives.

L’œuvre est-elle possible ? Peut-on corriger artificiellement la nature ?

Pourquoi pas ? On l’a bien corrigée en ce qui concerne les productions de la terre. On sait aujourd’hui, à n’en pas douter, — et les belles études de M. Dehérain sur la culture du blé sont assurément présentes à la mémoire de nos lecteurs, — on sait les conditions à remplir pour que le sol produise le maximum de telle culture qu’il lui est possible de fournir. L’agriculture est devenue une science exacte, grâce à laquelle nul ne peut ignorer qu’il existe un rendement maximum pour chaque ensemble de circonstances extérieures, — climat, composition du sol, nature des engrais, espèce, et même variété de la plante cultivée, — et que ce maximum est infiniment supérieur au rendement de la