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En hiver, le trajet en traîneau depuis le Volga durait deux mois. Mais qu’était-ce pour les marchandises ! Qu’est-ce encore aujourd’hui et quelle interminable odyssée que celle du thé de caravane, le grand article du commerce de transit sibérien, qui fait vivre presque tous les riverains de la grande route et ces marchands de Kiakhta, la bourgade frontière de la Chine, dont la somptueuse église aux ornemens d’argent et d’or, aux colonnes de cristal, atteste la richesse !

Récoltées au printemps sur les coteaux de la Chine centrale, concentrées à Han-kéou sur le Yang-Tze, où toutes les grandes maisons russes ont des représentans, les précieuses feuilles descendent le fleuve Bleu, puis gagnent Tien-Tsin en bateau à vapeur ; elles remontent le Peïho sur des jonques jusqu’aux portes de Pékin ou même à Khalgan, au pied de la Grande Muraille. À l’entrée de l’hiver, en octobre ou novembre, lorsque le sol est raffermi par la gelée, les gigantesques chameaux à deux bosses de Mongolie, revenus des pâturages d’été, les portent à Kiakhta à travers le désert de Gobi. Là les caisses qui contiennent de 50 à 90 kilogrammes de thé sont enveloppées dans des peaux de chameau portant le poil tourné en dedans pour les protéger contre les intempéries qui les attendent en Sibérie ; tous les chevaux de la région sont employés au traînage qui se fait sur une route spécialement construite et entretenue à cet effet par la guilde des marchands de Kiakhta jusqu’au lac Baïkal, que les premiers thés arrivés passent en bateau en décembre et les autres en traîneau. À Irkoutsk a lieu la visite de douane : 1 581 000 pouds[1] de thé l’ont traversée en 1896 et l’on a vu jusqu’à 60 000 caisses entassées à la fois sous les immenses hangars. Rechargées encore sur des traîneaux, les caisses s’acheminent lentement, au pas, vers l’ouest et un certain nombre d’entre elles arrivent en février à la foire d’Irbit, au pied de l’Oural, la plus importante de la Sibérie, où s’effectuent 50 millions de roubles d’échanges. La plus grande partie n’atteint guère qu’en avril les bords de l’Obi, où, le dégel venu, des bateaux à vapeur portent les thés à Tioumen ; de là le chemin de fer de l’Oural et la navigation sur la Kama et le Volga les amènent à Nijni-Novgorod, plus d’un an après le jour où les feuilles ont été cueillies. Les frais de transport sont de 18 roubles par poud de 16 kilogrammes, — près de 1 fr. 50 par livre de thé

  1. Le poud vaut 16 kilogr., 380.