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De l’Europe au Pacifique, les transports par terre duraient des mois, et la Russie ne pouvait espérer de bien longtemps être maîtresse de la mer. Aussi l’idée de construire un chemin de fer à travers la Sibérie germa-t-elle d’abord dans l’esprit du principal auteur de l’annexion des pays de l’Amour et leur premier gouverneur, le comte Mouravief-Amoursky. Le Transsibérien est donc avant tout un chemin de fer politique, et c’est à ce titre qu’Alexandre III en a décidé l’exécution par le rescrit du 17 mars 1891. Ses constructeurs n’ont eu garde d’oublier qu’il est destiné à avoir aussi de puissans effets économiques en ouvrant une nouvelle route, la plus courte de toutes, entre l’Europe et l’Extrême-Orient et en permettant l’exploitation des vastes richesses de la Sibérie, que le manque de communications faciles condamnait à la stérilité. Les immenses résultats politiques et économiques qu’il doit avoir justifient l’entreprise de ce long et coûteux travail et l’attention avec laquelle le monde entier en suit les progrès.


I

Pour juger de la révolution qu’apportera le Transsibérien dans l’état politique et économique du nord de l’Asie, il n’est pas inutile de s’être par soi-même rendu compte de la difficulté des communications et des obstacles de tout genre qui s’y opposent aujourd’hui aux transports. Le mode de locomotion le plus rapide dont on dispose, celui qui intéresse les voyageurs, c’est la voiture en été, le traîneau en hiver. Il y a vingt ans, il fallait y monter à Kazan, sur le Volga, pour franchir jusqu’à Vladivostok plus de deux mille lieues, qu’on parcourait en deux mois dans la saison la plus favorable aux voyages, lorsqu’une couche de neige solide et unie remplace la boue et les ornières des routes sibériennes. Plus tard, le progrès de la navigation et la construction d’un chemin de fer à travers l’Oural reportèrent le point de départ sur le versant oriental de cette chaîne, puis bien plus à l’est, au point le plus oriental qu’atteignent les bateaux à vapeur dans le bassin de l’Obi, à Tomsk ; en été, le trajet en voiture se trouvait ainsi réduit à 3 000 kilomètres, au bout desquels on gagnait l’Amour, où la navigation recommençait. Depuis que le Transsibérien a dépassé Tomsk vers l’est, dès 1896, le point où l’on commence à se servir de la voiture et avec lui les dépôts de yarantass reculent sans cesse vers l’est.