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LA SIBÉRIE
ET LE TRANSSIBÉRIEN[1]

LE CHEMIN DE FER

Le jour où la Russie descendit des solitudes glacées que baigne la mer d’Okhotsk pour s’emparer, aux dépens de la Chine, des rives du fleuve Amour, pousser sa frontière sur le Pacifique jusqu’au 43e degré de latitude, jusqu’aux limites mêmes de la Corée, vit s’accomplir un des faits les plus importans de l’histoire de notre siècle. Consacrés en 1858 par le traité d’Aigoun et coïncidant presque avec l’ouverture du Japon aux étrangers, ces événemens passèrent presque inaperçus aux yeux de l’Europe, tout occupée alors du Levant méditerranéen. Ils préparaient pourtant un déplacement de l’axe de la politique du monde, ils faisaient entrer la Russie en contact direct avec l’Empire chinois, auquel elle ne touchait jusqu’alors que par des déserts ; ils donnaient au Tsar une base d’opérations en Extrême-Orient, en même temps qu’ils marquaient le début de l’évolution prodigieuse qui devait transformer le Japon. Ils contenaient donc en germe tous les extraordinaires changemens qui se sont accomplis depuis dans l’Asie orientale.

Pour que la politique russe portât tous ses fruits, il fallait toutefois que ces nouvelles acquisitions fussent unies au centre de l’Empire par un lien solide. La Russie venait d’expérimenter durement en Crimée combien il est difficile de faire la guerre sur un théâtre bien moins éloigné pourtant que ses nouvelles possessions d’Extrême-Orient, en l’absence de voies de communication rapides.

  1. Voir la Revue du 15 mars.