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trouble qu’un instant le cours des choses et ne réussit même pas à retarder sensiblement l’heure des revanches idéalistes. Avec une admirable sérénité, un courage, une énergie juvéniles, Gladstone à peine vaincu, se remit à préparer la victoire. Ces six années pendant lesquelles, avec une activité incomparable, il poursuivit sa propagande, remplissant sa fonction de médiateur de la réconciliation et prêchant l’union des cœurs, sont dans la mémoire de tous.

Le pays ému, rempli d’admiration pour ce zèle ardent, un peu agité aussi par la véhémence de cet apôtre, lui donna en 1892 une majorité presque personnelle. Il semblait qu’il fût au terme de ses labeurs. Le pouvoir allait lui échapper une fois encore. Une majorité de quarante voix aurait peut-être suffi, si la division ne s’était pas irrémédiablement mise dans les rangs des Irlandais. Parnell avait été convaincu d’adultère. Gladstone, au nom de sa conscience et de celle de la religieuse Angleterre, signifia qu’il ne pouvait collaborer avec ce repris de justice. Parnell se rebiffa. Il fut abandonné par la grande majorité de son pays et de ses collègues. Il eut le temps, avant de mourir, de faire un mal irréparable à sa propre cause en déchaînant les élémens qu’il avait jadis disciplinés. Quand Gladstone développa devant la Chambre des Communes son nouveau projet qu’il avait allégé des clauses financières et de l’exclusion des Irlandais, il eut beau déployer dans la discussion une verve, une compétence, une éloquence, une ardeur que les plus jeunes enviaient ; il eut beau enlever le vote de son bill, la Chambre des Lords lui opposa un veto absolu. Le pays demeura froid. Il était soulagé au fond de n’avoir pas à subir les conséquences de son acte de déférence, il savait gré aux lords de lui avoir épargné ce souci. Les collègues du premier ministre repoussèrent le plan de campagne où, à quatre-vingt-quatre ans révolus, il voulait s’engager contre la Chambre des privilèges héréditaires. Il comprit à demi-mot et, prenant prétexte de la croissance de certaines infirmités qui ne l’avaient pas empêché de remplir ses fonctions, il se démit.

C’était la retraite définitive. Il ne se laissa point assombrir par la conscience de la défaite. Sa foi lui permettait de tout reporter à la Providence. Il se replongea dans l’étude. La paix s’était faite autour de lui comme en lui. Il ne montait plus jusqu’à lui qu’un murmure de vénération et d’affection. Entouré de ses enfans et petits-enfans, en compagnie de sa femme à laquelle