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trois fois à l’attaque de la Haie-Sainte l’infanterie de d’Erlon, il a chargé quatre fois sur le plateau avec les cuirassiers, il a mené l’assaut désespéré des grenadiers de la garde. Il court maintenant à la brigade Brue (division Durutte), seule troupe de ligne qui batte en retraite en ordre et qui est d’ailleurs réduite à l’effectif de deux bataillons. Il harangue les soldats et les jette encore une fois contre l’ennemi, en criant : « — Venez voir mourir un maréchal de France ! » La brigade vite rompue et dispersée, Ney se cramponne à ce fatal champ de bataille. Puisqu’il n’y peut trouver la mort, il veut, du moins, ne le quitter que le dernier. Il entre dans un carré de la garde avec le chef de bataillon Rulhière, qui a pris l’aigle du 95e des mains mourantes du lieutenant Puthod. Durutte, le poignet droit coupé, le front ouvert, tout sanglant, est emporté par son cheval dans une charge de cavalerie ; il galope au milieu des Anglais jusqu’à la Belle-Alliance.

Les trois bataillons de la garde repoussent sans peine la cavalerie. Mais leur formation en carrés, qu’ils sont cependant tenus de conserver pour résister à de nouvelles charges, les met dans un état d’infériorité tactique vis-à-vis de l’infanterie anglaise, en ligne sur quatre rangs. Son feu plus étendu et plus dense bat les carrés de front et d’écharpe. A la mousqueterie se mêle la mitraille des batteries Rogers, Whyniates et Gardiner, qui tirent à soixante mètres. Les masses ennemies foisonnent autour des grenadiers : les brigades Adam et William Halkett, qui s’acharnent surtout contre eux, et les brigades Kempt, Lambert, Kruse, Wincke, Colin Halkett. L’Empereur donne l’ordre de quitter cette position intenable. Lui-même, réfléchissant, trop tard peut-être, que, pour arrêter une déroute, il faut non point rester sur le front des troupes qui lâchent pied, mais se porter en arrière près de celles qui tiennent encore, gagne au galop, avec quelques chasseurs d’escorte, les hauteurs de la Belle-Alliance.

Les trois bataillons, — ainsi que celui du 3e grenadiers posté à leur gauche, et assailli tour à tour par les dragons anglais, les lanciers noirs de Brunswick, l’infanterie de Maitland et de Mitchell, — rétrogradent pas à pas. Réduits à trop peu d’hommes pour rester en carrés sur trois rangs, ils se forment sur deux rangs, en triangles, et, baïonnettes croisées, percent lentement à travers la foule des fuyards et des Anglais. A chaque pas, des hommes trébuchent sur les cadavres ou tombent sous les balles. Tous les cinquante mètres, il faut faire halte pour reformer les rangs et repousser