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de la garde étaient seuls arrivés encore dans les fonds de la Haie-Sainte. L’Empereur en posta un (le 2e du 3e grenadiers) sur un petit mamelon, à mi-chemin de cette ferme et de Hougoumont, et, apercevant Ney qui se trouvait toujours partout où il y avait la mort à affronter, il lui remit le commandement des cinq autres pour donner l’assaut au centre droit anglais. En même temps, il fit tenir l’ordre aux batteries d’activer leur feu, à d’Erlon, à Reille et aux commandans des corps de cavalerie de seconder sur leur front respectif le mouvement de la garde. Le bruit que les Prussiens débouchaient d’Ohain pouvait se répandre. L’Empereur voulut prévenir cette alarme. Il chargea La Bédoyère et ses officiers d’ordonnance de parcourir la ligne de bataille en annonçant partout l’arrivée du maréchal Grouchy. Ney a dit qu’il fut indigné de ce stratagème. Comme si Napoléon avait le choix des moyens ! Ce qui est certain, c’est que, à cette fausse nouvelle, la confiance revint et l’enthousiasme se ralluma. Les troupes reformèrent leurs rangs en criant : Vive l’Empereur ! Des blessés se redressaient pour acclamer au passage les colonnes en marche. Un soldat à trois chevrons, un vieux d’Austerlitz, les deux jambes broyées par un boulet, répétait d’une voix haute et ferme : « — Ce n’est rien, camarades. En avant ! et vive l’Empereur ! »

Wellington, malgré la fumée qui s’épaississait de plus en plus, avait-il vu les mouvemens préparatoires à cette attaque finale ? En tout cas, il en fut averti par un traître. Au moment où Drouot rassemblait la garde, un capitaine de carabiniers, traversant le vallon au grand galop, superbe sous les boulets et la grêle des balles, aborda, le sabre au fourreau et la main droite en l’air, les tirailleurs avancés du 52e anglais[1]. Conduit au major de ce régiment qui causait avec le colonel Fraser, commandant l’artillerie légère, il s’écria : « — Vive le roi ! Préparez-vous ! ce b... de Napoléon sera sur vous avec la garde avant une demi-heure, » Le colonel Fraser rejoignit Wellington pour lui transmettre l’avis. Le duc parcourut la ligne de bataille, depuis la route de Bruxelles jusqu’à la route de Nivelles, donnant ses derniers ordres. La brigade Adam et la brigade des gardes de Maitland, qui avaient rétrogradé dans un pli de terrain pour s’abriter contre les boulets, reprirent leurs positions. La brigade hanovrienne William Halkett

  1. Le plus singulier, c’est que cet officier avait vaillamment chargé doux fois les Anglais. Il expliqua qu’il n’avait pas déserté plus tôt parce qu’il espérait entraîner avec lui plusieurs de ses camarades.