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Ney fait aussitôt établir une batterie à cheval sur un monticule près de la Haie-Sainte et pousse un régiment de Donzelot sur la sablonnière qu’abandonne de nouveau le 95e anglais. De ces deux positions, les canonniers tirent à moins de 300 mètres, les tirailleurs à moins de 80 sur le centre même de la ligne ennemie. Soutenus par ce feu qui fait brèche, les débris des divisions Allix, Donzelot et Marcognet montent des deux côtés de la ferme jusqu’au chemin d’Ohain. On se fusille à travers les haies, par-dessus les berges, on s’aborde à la baïonnette. Ompteda, avec les 5e et 8e bataillons de la Légion germanique, opère sur la grande route une contre-attaque qui réussit d’abord. Une balle le jette mortellement blessé à bas de son cheval. Le 5e bataillon se replie. Le 8e, qui est plus en avant, est exterminé par un escadron de cuirassiers. Son drapeau est pris, son chef, le colonel Schräder, est tué ; trente hommes seulement échappent aux sabres.

Le centre gauche ennemi (brigades Kempt, Pack, Lambert. Best et Winke) tient ferme ; mais, à l’extrême gauche, les Nassaviens du prince de Saxe-Weimar se laissent, pour la seconde fois, débusquer de Papelotte par la division Durutte, et, au centre droit, les Anglo-Alliés sont ébranlés, à bout de résistance. Les munitions s’épuisent, des pièces sont démontées, d’autres sans servans. Le prince d’Orange et le général Alten, blessés tous deux, quittent le champ de bataille ; les colonels Gordon et de Lancy-Evans, aides de camp de Wellington, sont tués. Les brigades de cavalerie de Somerset et de Ponsonby sont réduites ensemble à deux escadrons, la brigade Ompteda n’est plus qu’une poignée d’hommes, la brigade Kielmansegge se replie derrière le village de Mont-Saint-Jean, la brigade Kruse recule. A l’arrière, les fuyards se multiplient. Le régiment des hussards Cumberland tout entier tourne bride, colonel en tête, et détale au grand trot sur la route de Bruxelles. Partout les rangs s’éclaircissent, les blessés étant nombreux et nombreux aussi les hommes qui s’éloignent sous prétexte de les porter aux ambulances. Il y a du désordre même dans l’intrépide brigade Colin Halkett où un bataillon se trouve commandé par un simple lieutenant. On envoie prudemment sur les derrières les drapeaux du 30e et du 73e.

« Le contre de la ligne était ouvert, dit un aide de camp du général Alten. Nous étions en péril. A aucun moment, l’issue de la bataille ne fut plus douteuse. » Malgré son assurance accoutumée, Wellington devenait anxieux. Il voyait bien les masses noires