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leurs pièces et se réfugient dans les carrés. Ceux-ci ouvrent à trente pas des feux de file qui abattent des rangs entiers « comme d’un coup de faux » et reçoivent les débris des escadrons sur la triple ligne de leurs baïonnettes. Les charges se succèdent sans interruption. Des carrés subissent cinq, sept, dix, jusqu’à treize assauts. Plusieurs sont bousculés, entamés partiellement, sinon enfoncés et rompus. Le fourrier Pilan du 9e cuirassiers et le maréchal des logis Gautier du 10e prennent chacun un drapeau anglais. Le capitaine Klein de Kleinenberg, des chasseurs de la garde, a son cheval tué en enlevant le drapeau d’un bataillon de la Légion germanique. Mais la plupart des carrés restent inforçables. D’instant en instant, ils semblent submergés par les flots de la cavalerie, puis ils reparaissent à travers la fumée, hérissés de baïonnettes étincelantes, tandis que les escadrons s’éparpillent alentour comme des vagues qui se brisent sur une digue.

Les cuirassiers de Lhéritier foncent à travers un labyrinthe de feux sur les carrés de la seconde ligne, les dépassent et sont foudroyés par les batteries de réserve. Tout un régiment converse à gauche, enfile au triple galop la route de Nivelles, sabre les tirailleurs de Mitchell le long du chemin de Braine-l’Alleud, tourne Hougoumont et vient se reformer sur le plateau de la Belle-Alliance. Les dragons de la garde s’engagent contre la brigade de cavalerie légère de Grant, qui, occupée tout l’après-midi à observer les lanciers de Pire en avant de Monplaisir et reconnaissant enfin dans les mouvemens de ceux-ci de simples démonstrations, s’est rabattue de l’aile droite sur le centre. La batterie de Mercer, la seule dont les canonniers soient restés à leurs pièces malgré l’ordre de Wellington, se trouve un peu en arrière, le front abrité par un remblai du chemin, les flancs protégés par deux carrés de Brunswick. Les grenadiers à cheval, géans montés sur d’énormes chevaux et grandis encore par les hauts bonnets à poil, s’avancent au trot, en ligne. On dirait un mur qui marche. Sous la mitraille de Mercer, que croisent les feux de file des deux carrés brunswickois, ce mur s’écroule, couvrant le terrain de ses débris ensanglantés. A la seconde charge, c’est une nouvelle boucherie. Le général Jamin, colonel des grenadiers, tombe frappé à mort sur l’affût d’un canon. Devant la batterie s’élève un rempart de cadavres et de chevaux éventrés. « — Vous en avez un bon tas ! » dit en riant, à Mercer, le colonel Wood. Les derniers pelotons des grenadiers franchissent le hideux obstacle,