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circonstances plus fortes : l’expérience lui démontrait, jour après jour, la folie de prétendre gouverner l’Irlande en dehors de l’alternative de la dictature ou de l’autonomie.

D’autres questions appelaient son attention. La réforme électorale de 1884 achevait l’œuvre de 1832 et de 1867 en en étendant le bénéfice aux comtés. C’était l’affranchissement des populations rurales. La Chambre des Lords discerna si bien la portée de cette révolution qu’il fallut la menace d’une fournée de pairs ou d’un appel au pays pour vaincre ses résistances. C’était là un dernier triomphe, l’accomplissement final du mandat qui avait été la raison d’être du parti libéral. On allait voir se produire un nouveau classement des forces sociales et le passage en masse au parti de la résistance des intérêts satisfaits ou menacés. Une oreille exercée aurait déjà pu entendre le glas du parti libéral. La politique étrangère devait hâter l’heure de cette crise. Entre les mains un peu faibles et molles de lord Granville ou de lord Derby, le Foreign office ne jouait dans le monde qu’un rôle effacé. L’Europe achevait de se remettre des secousses de la période révolutionnaire et guerroyante, qui va de 1859 à 1877, de Magenta à San Stefano par Sadowa et Sedan, et qui se peut appeler l’ère des nationalités. De grandes alliances tendaient à se former pour garantir l’uti possidetis à leurs membres, et à l’Europe le statu quo. Déjà se montraient les symptômes précurseurs de l’ère nouvelle qu’allait caractériser la concurrence coloniale. L’Afrique allait devenir le théâtre des grandes parties internationales avant que l’Extrême-Orient y fût englobé. Ce fut en Égypte que se livra la première bataille. Ce pays était placé sous la suzeraineté nominale du Sultan et sous le condominium effectif de la France et de l’Angleterre. A la suite de l’insurrection d’Arabi, les intérêts financiers exigèrent une intervention. La France commit la faute inexpiable du gran rifiuto. L’Angleterre alla seule bombarder Alexandrie. Elle vainquit sans peine et sans gloire avec lord Wolseley à Tel-el-Kebir. Ses ministres avaient prodigué les assurances les plus solennelles de leur intention de rétablir l’ordre et d’évacuer l’Égypte. Qu’ils fussent sincères, tout l’indique : quand on leur demandait de fixer un terme approximatif à l’occupation, six mois leur semblaient bien longs. On sait par quel concours de circonstances malheureuses, au premier rang desquelles il faut placer, — avec quelques nouvelles fautes de la France, comme le rejet de la convention Drummond Wolff, — le développement inouï