Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/747

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de 12 de la garde, canonnaient sans relâche le centre droit. C’est l’instant de la journée où le feu d’artillerie fut le plus intense. « Jamais, dit le général Alten, les plus vieux soldats n’avaient entendu pareille canonnade, » Quelques bataillons de la première ligne anglaise rétrogradèrent d’une centaine de pas pour être abrités par le bord du plateau. En même temps, des groupes de blessés, des convois de prisonniers, des caissons vides et des fuyards filaient à l’arrière. Ney, se méprenant sur ces mouvemens, qu’il distinguait mal à travers la fumée, crut à un commencement de retraite, et s’avisa de prendre pied sur le plateau avec de la cavalerie. Il fit demander incontinent une brigade de cuirassiers.

L’aide de camp s’adressa au général Farine, qui mit ses deux régimens en marche. Mais le général Delort, commandant la division, arrêta le mouvement. « — Nous n’avons, dit-il, d’ordre à recevoir que du comte Milhaud. » Ney, impatient, courut à Delort. Le maréchal était fort irrité de ce refus d’obéissance. Non seulement il réitéra son ordre à la brigade Farine, mais il ordonna que les six autres régimens du corps de Milhaud se portassent aussi en avant. Delort ayant encore objecté l’imprudence de cette manœuvre sur un pareil terrain, Ney invoqua les instructions de l’Empereur : « — En avant, s’écria-t-il, il s’agit du salut de la France. » Delort dut obéir. Les deux divisions de cuirassiers partirent au grand trot et derrière elles s’ébranlèrent les lanciers rouges et les chasseurs à cheval de la garde. Ces régimens suivirent-ils le mouvement sur l’ordre de Lefebvre-Desnoëttes, à qui Milhaud aurait dit en parlant : « — Je vais charger. Soutiens-moi ! » ou s’élancèrent-ils spontanément, saisis du vertige de la charge à la vue de leurs camarades courant à l’ennemi dont la retraite semblait commencer et jaloux d’avoir leur part d’Anglais à sabrer ?

Depuis le commencement du combat, Ney pensait à la grande action de cavalerie dont lui avait parlé l’Empereur, qui avait mis sous son commandement pour cela les corps de cuirassiers et même les divisions de garde à cheval. Le prince de la Moskowa se promettait de cette charge les plus beaux résultats. Il était heureux d’avoir à la mener, lui qui passait, dit Foy, pour un des premiers officiers de cavalerie de l’armée. Il en avait causé avec Drouot, l’assurant qu’il était sur du succès. Tout d’abord Ney, qui ne devait engager la cavalerie qu’après en avoir reçu l’ordre de l’Empereur, avait voulu seulement prendre pied sur le plateau